Temps attendu, NGANÙ est finalement disponible. Sur Netflix! Entrant ainsi dans le cercle très fermé des films camerounais présents dans le catalogue de la firme américaine. Nous avons regardé le film avec beaucoup excitation et nous vous livrons ce que nous avons pensé de ce long-métrage audacieux. Alerte spoiler.
Annoncé depuis plusieurs mois, le film camerounais NGANÙ est enfin accessible sur la plateforme de Streaming Netflix. Réalisé par le cinéaste camerounais Kang Quintus, le film raconte l’histoire de NGANÙ (à ne pas confondre avec celui qui tape les gens pour vivre) un homme d’une violence extrême qui vit dans un petit village du Cameroun. Il fait subir à sa compagne et à son fils des tortures physiques et psychologiques atroces. moqué et redouté par les autres villageois, il décide de se faire enrôler dans l’armée pour canaliser sa violence et chasser ses démons. Un objectif qu’il atteint. Mais de retour dans son village les choses ont drastiquement changé.
Violence héréditaire
Le film commence avec un jeune garçon qui regarde son père briser le crâne de sa mère avec un bâton. C’est un flashback, et c’est ce petit garçon devenu adulte (Nganù) qui se remémore cette scène d’une violence rare. Quelques minutes plus tard c’est autour de Nganù de brutaliser sa compagne devant les yeux impuissants de son fils Kum. Une entrée en matière brutale qui nous plonge directement dans ce qui sera l’atmosphère générale du film, la violence. Et surtout la transmission héréditaire de la violence.
Pour raconter cette transmission de la violence, le film se construit en 4 actes majeurs. Dans le premier, Nganù bat sa femme, se drogue, bat encore sa femme devant leur fils, se drogue, brutalise des gens au village… Une vraie terreur. A s’y méprendre, on dirait même que Nganù n’est autre qu’une copie sinon le prolongement de Solomon (personnage principal de The Fisherman’s Diary également incarné par Kang Quintus). Quelle est donc cette obsession pour la violence? On a ici le portrait parfois cliché et bancal d’un homme violent et dont les origines de la violence découlent de ce qu’il a vu son père faire autrefois. Le second acte du film entraine Nganù dans un camp militaire, il a décidé de répondre à l’appel au recrutement lancé par l’armée pour aller lutter contre Boko Haram. Il y voit l’occasion de canaliser sa colère et peut-être de la dompter. Au terme de cette formation militaire, Nganù rentre dans son village étant transformé. Physiquement et comme psychologiquement. Seulement c’est ici que l’histoire pèche. Qu’est-ce qui est réellement à l’origine de ce changement radical ? Est-ce juste la formation ? On le voit, les démons de Nganù sont si forts qu’il frappe même sur son instructeur, qu’il a des crises de panique et d’angoisse durant les exercices. Est-ce juste cet échange de punition et cette petite conversation dans le dortoir avec son camarade incarné par Haakim Kae-Kazim qui a pu transformer cet homme violent en un homme avec autant de maîtrise de soi? On a de sérieux doutes. Mais toujours est-il que Nganù rentre dans son village étant transformé et est accueilli en héros.
C’est le début du troisième acte et à vrai dire c’est ici que le film commence ! Car Nganù revient et trouve que sa compagne a épousé un autre et que son fils est devenu un caïd, le grand « Kumisco ». Témoin des violences perpétrées par son père, il a suivi le même chemin. D’ailleurs ce n’est pas surprenant, car les scénaristes [Kang Quintus, Enah Johnscot et Proxy Buh] de manière ingénieuse nous avaient déjà préparé à ça. Lorsque Nganù s’en va pour la formation, Kum le regarde partir et va s’asseoir sur son fauteuil et hérite donc symboliquement de la violence de son père dont il était déjà le témoin. Seulement Kum interprété avec justesse par Gareth Ayuk, ne va pas orienter la violence vers une femme mais va s’orienter vers la drogue et le banditisme. Une peinture réelle de la jeunesse camerounaise actuelle emportée par la drogue parce que n’ayant plus de modèle familial et grandissant dans une société violente où chacun se bat pour survivre. Le summum de cette transmission de la violence survient lorsque Kum, emporté par la drogue, gifle violemment son père et celui-ci ne réagit pas, observant simplement le monstre qu’il a lui-même crée par son comportement. C’est brutal, assis sur notre siège on ressent le choc et ça marche !
Rédemption
Nganù tente alors de reconquérir aussi maladroitement que possible sa femme et son fils dans le dernier acte du film. Mais, le fils qui tout petit rêvait d’être couturier, rêve aujourd’hui sous l’influence de la drogue, d’être gouverneur et comme par ironie, d’éradiquer des rues les enfants. Nganù veut au moins sauver son fils puisqu’il ne peut plus sauver son couple. Surtout que Kum s’est mis à dos son propre gang. Ce gang qui alerte le village et décide de brûler le domicile de Nganù. Encore une belle symbolique, cette maison, haut lieu de la transmission de la violence qui est emporté par les flammes. Cette séquence trouve toute sa beauté lorsque les membres du gangs en furie balancent un cocktail Molotov sur la fameuse chaise de transmission qui trône au milieu du salon. Le tout filmé en gros plan, Magnifique. Une destruction annonciatrice des liens de violences qui se brisent. Évidemment, comme dans la vraie vie, au cinéma aussi les choses ne finissent pas toujours bien. Mais la fin de Nganù est absolument efficace et nous montre que la rédemption a un prix et ce prix est parfois de supporter les conséquences des actes que l’on a posé.
Outre les deux premiers actes du film qui sont mous en terme d’écriture, le film prend toute son importance à partir de la seconde moitié du film. Le film fait la peinture d’une société camerounaise marquée par toute sorte de violence, par la destruction de la cellule familiale et par la drogue. Mais surtout le film aborde la relation père et fils d’une manière unique comme il est très rare de le voir dans les films camerounais. Là où The fisherman’s Diary (2020) réalisé par Enah Johnscott nous présentait la violence et ses causes, NGANÙ tente de nous présenter les causes de la violence mais surtout ses conséquences parfois irréversibles. La violence est héréditaire et si on ne fait pas attention, elle détruit tout sur son passage. Mais au-delà de tout, on peut se racheter non sans perdre quelque chose. Le film se veut aussi « patriote » dans la mesure où c’est le passage par la formation militaire qui transforme Nganù. Une approche idéalisée de l’armée mais aussi une découverte à l’écran de comment se déroule une formation militaire au Cameroun.
Kang Quintus et Gareth Ayuk sont magistraux !
La réalisation du film est faite sans fioritures. C’est simple et assez efficace pour nous laisser vivre l’histoire et surtout la performance des acteurs. Kang Quintus et Gareth Ayuk sont magistraux dans leur performance! On ne saurait rien ajouter d’autre ! On y découvre aussi le célèbre artiste urbain camerounais Ko-c en brigand et aussi, avec une larme aux yeux, le regretté Cabrel Nanjip à qui le film est dédié. On n’oubliera pas de mentionner la présence de Hakim Kae-kazim dont le jeu efficace et sobre traduit bien sa grande expérience et dont la présence dans le film a surtout une portée commerciale. Techniquement le film est assez basique et nous propose quelques moments de fulgurances comme cette scène d’affrontement et réconciliation entre Nganù et Kum filmé avec cette caméra qui tourne autour d’eux et qui nous entraine dans le tourbillon émotionnel qui peut bien se produire dans la tête d’un père qui voit son fils pointer une arme sur lui et d’un fils qui voit son père pointer une arme sur lui. C’est puissant et efficace. Malheureusement le réalisateur [et son coréalisateur Musing Derick] casse le rythme de cette séquence, déplace les acteurs et redépose la caméra sur trépied pour une fin de séquence un tout petit peu ennuyeuse. On reprochera surtout au film son mixage son pas abouti, ses maquillages quelques peu hasardeux, cette faille dans l’écriture mais aussi cette ombre de The Fisherman’s Diary bien visible encore. Espérons que pour son prochain film, Kang Qintus sera délivré de cette ombre de la violence permanente.
Au finish NGANÙ est un film à voir car c’est le film d’un cinéaste qui ose, qui prend position et qui fait une peinture réelle de la société, un film qui parle de rédemption, un film qui parle des conséquences de nos actes. Un film qui interpelle!
Le film est disponible en exclusivité sur Netflix
Rostand Wandja
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