Alors que la série camerounaise « Madame Monsieur » fait beaucoup de bruits actuellement sur les réseaux sociaux, nous vous proposons une interview que nous a accordé son producteur Ebenezer Képombia a.k.a Mitoumba en Avril dernier durant le tournage de cette troisième saison.
Interview réalisé le 15 avril 2022 à Douala
AYILA : De 2007 à aujourd’hui vous avez produit pas moins de sept séries : « Les Déballeurs », « Foyer Polygamique »… et « Madame Monsieur » aujourd’hui. Quel est votre secret en tant que créateur et producteur de toutes ces œuvres ?
Ce qui a fait ma particularité, que vous pouvez appeler « secret », c’est que j’ai fait des choses avec les moyens que j’avais, en sachant que si j’avais plus de moyens, je devais faire mieux.
Ebenezer Képombia : Écoutez, le secret, s’il faut le dire ainsi, c’est le travail. C’est le fait de travailler sans relâche, également le fait d’être ambitieux et d’avoir des objectifs. En fait, il faut se fixer des objectifs, il faut avoir un business plan, il faut savoir où tu veux aller, comment tu vas y arriver, avec quels moyens tu vas y arriver, et t’y jeter avec les moyens que tu as. Donc, ce qui a fait ma particularité, que vous pouvez appeler « secret », c’est que j’ai fait des choses avec les moyens que j’avais, en sachant que si j’avais plus de moyens, je devais faire mieux. Vous comprenez ? Donc je n’ai pas voulu croiser les bras et attendre avoir des milliards pour produire une série. Non ! Quand j’évaluais par exemple Foyer Polygamique, il fallait des centaines de millions pour produire cette série. Mais on n’en avait pas, on n’avait presque rien, vous comprenez ? Et on s’est lancés, on a dit qu’on va faire avec les moyens qu’on a. Chaque fois que je veux produire une série, je compte à 98% sur moi, parce qu’à 98% le financement vient de mes poches. C’est sur cette base que je fixe le budget de ma série. Il faut que tous ceux qui vont travailler dans ma série, entrent dans ce budget. Si tu n’entres pas dans mon budget, je ne travaille pas avec toi. C’est ça qui fait que j’avance. Et chaque fois que j’avance, j’essaie d’améliorer la qualité, car j’ai la chance de vendre tout ce que je fais à l’international. Du coup ça ajoute à mon capital un franc qui me permet, d’avancer sur la prochaine production en termes de qualité, de m’acquérir de nouveaux matériels de production à la pointe, de travailler avec d’autres techniciens bien formés, de travailler avec des acteurs de renom, pour que la qualité de ma série soit, je ne peux pas dire parfaite, mais que la qualité soit très bien appréciée. Donc j’essaie d’agencer, de réunir la qualité technique et la qualité artistique avec le peu de moyens que j’ai.
AYILA : La famille, dans sa dimension fondamentale, est au cœur de vos œuvres : du quincaillier radin dans « Les Déballeurs » à la famille MBARGA hyper chaotique aujourd’hui dans « Madame Monsieur ». Qu’est-ce qui explique cette obsession pour la famille et qu’est-ce que la famille représente personnellement pour vous ?
E. K. : Déjà je précise que le premier film des Déballeurs s’appelait La vie dans les mini-cités. Le masochiste c’est le deuxième film qu’on a produit. De façon synoptique je parle de la famille parce que la famille est la base de la société. Mon objectif est de faire une peinture de la société et il n’y a pas meilleur thème pour changer une société que de parler de la famille, parce que dans la famille tout le monde se retrouve. Chacun a une famille. Et c’est pour ça qu’on essaie d’équilibrer : un temps on présente des familles pauvres, un temps on présente des familles riches, pour que tout le monde se retrouve. Moi particulièrement, quand je veux faire une œuvre, je ne me pose pas en donneur de leçons. Je me constitue en miroir, c’est-à-dire que je pose un miroir devant le public pour qu’il se regarde à travers mes œuvres, se corrige lui-même s’il trouve que ce qu’il fait n’est pas bien ; ou qu’il améliore ce qu’il fait déjà à travers ce qu’il a vu dans mes œuvres. Donc, je ne donne pas de leçons, je fais une peinture de la société.
J’étais déjà star avant Madame Monsieur parce que j’avais déjà fait diffuser plusieurs de mes séries dans tous les pays Afrique francophone.
AYILA : Comment s’est construit le projet « Madame Monsieur » et qu’est-ce que cette série vous a apporté sur un plan humain et professionnel ?
E.K. : Madame Monsieur est parti du fait qu’un matin je me suis dit : « Il me faut produire une série qui n’est pas écrite par moi-même ». C’est en janvier 2019 que je parle avec Cynthia Elizabeth Ngono et qu’on commence à travailler dessus. Ayant travaillé avec elle sur la série HABIBA, j’ai compris, en la côtoyant, qu’elle était intelligente, qu’elle pouvait écrire. Je lui ai dit : « Petite sœur, apporte-moi quelques projets de série ». Elle m’en a apporté deux et j’ai choisi Madame Monsieur. Mais je lui ai dit qu’on allait réécrire. On a refait la bible des personnages, elle a écrit la saison 1 avec Stéphane Yung et on a tourné la saison 1 en janvier 2020. Après la saison 1, on a fait la saison 2. Pour cette deuxième saison c’est moi qui ai écrit le scénario et Cynthia a fait les dialogues. Et on a reproduit le même système pour la saison 3. Mais au moment de passer à la saison 2, je rêvais de grandeur, d’une série que les gens appelleraient : « Ma meilleure série », une série qui allait être comme Foyer Polygamique, vous comprenez? Et puis la série avait la particularité de parler des problèmes de couple… Et Madame Monsieur a connu un succès phénoménal.
Il y a des gens qui sont partis de rien pour devenir hyper-stars aujourd’hui grâce à Madame Monsieur.
Donc, sur le plan humain, cela m’a rendu plus star que je ne l’étais. J’étais déjà star avant Madame Monsieur parce que j’avais déjà fait diffuser plusieurs de mes séries dans tous les pays Afrique francophone. Donc ce n’est pas Madame Monsieur qui m’emmène à l’international. La Reine Blanche par exemple a été diffusée sur TV ASTECA au Mexique. Et ceux qui me critiquaient hier, m’insultaient hier, viennent aujourd’hui demander à travailler avec moi. Même les critiques les plus acerbes hier, sont fiers de moi. Grâce à cette série on a gagné les SOTIGUI AWARDS. Le ministre [des Arts et de la culture du Cameroun, Ndlr] a dû organiser, pour la première fois, une cérémonie pour honorer, au nom de l’État, des comédiens et c’étaient ceux de Madame Monsieur. Il y a des gens qui sont partis de rien pour devenir hyper-stars aujourd’hui grâce à Madame Monsieur. 90% des acteurs de Madame Monsieur sont des hyper-stars qui ne l’étaient pas avant. C’est grâce à Madame Monsieur qu’ils ont eu beaucoup de visibilité, beaucoup de notoriété aussi.
AYILA : La saison 1 de Madame Monsieur était plutôt classique, posée, se focalisant sur la vie de plusieurs couples, à la saison 2 vous avez fait un virage à 180° on va dire : les meurtres, les gangsters, les armes… Un choix vraiment audacieux. N’avez-vous pas eu un peu une peur de prendre ce virage-là, en vous disant que peut-être le public n’allait pas apprécier ?
E.K. : Non, non. Je n’avais pas peur, parce que la première saison était une série. Une série est un film dont les épisodes ne se suivent pas obligatoirement. A la première saison, chaque épisode avait un thème, ou bien on traitait un thème sur deux épisodes, trois, maximum. Donc, après, on est passé au feuilleton et le feuilleton attache plus le public que la série. Ça, c’est par expérience que j’ai fait ce virage. Il n’était pas non plus aussi facile de continuer en série, on pouvait être en rupture de thèmes sur lesquels travailler. C’est la raison pour laquelle je suis allé au feuilleton, parce que là on met facilement des suspens, des rebondissements, des retournements de situation, etc. Il fallait faire trembler les cœurs, il fallait faire frémir les cœurs. La saison 1 était plus humoristique, alors que la saison 2, et même la saison 3, sont des séries dramatiques, humoristiques, et glamour. Saison 2 et 3 c’est : drame, humour et glamour.
AYILA : Vous avez dit dans une interview que la saison 3 était la dernière. Est-ce que vous confirmez cela, ou bien on doit s’attendre à une autre saison ?
E.K. : Pour l’instant je ne peux pas encore le dire. Je me prononcerai dessus d’ici trois à quatre mois de façon définitive.
AYILA : Pour la saison 3 vous avez de nouvelles recrues au niveau du casting, êtes-vous satisfait de ces nouvelles recrues ?
E.K. : Oui, nous sommes très rigoureux dans le casting. J’ai une équipe de casting qui est très rigoureuse et qui pilote bien le recrutement. Quand elle les recrute, elle me les envoie, je fais des séances de répétitions avec des mises à niveau, ainsi de suite. Donc, on travaille beaucoup avec les nouvelles recrues avant d’aller au tournage. Du coup, elles me satisfont. Toutes les nouvelles recrues, que ce soit celles de la saison 1, ou de la saison 2 que vous connaissez. Vous savez que tous ceux de la saison 2 qui sont entrés ont satisfait le public. Ce sera le cas pour la saison 3.
Il y a des gens avec lesquels on va avancer, et il y a d’autres qu’on va mettre de côté, non pas parce qu’ils ne sont pas bons, ou encore parce qu’ils nous ont créé un problème ou quoi que ce soit, mais parce qu’il faut donner la chance à de nouvelles personnes.
AYILA : BIG MOP est devenu, sur les réseaux sociaux, une vraie légende. On reprend beaucoup ses vidéos. Est-ce que c’est possible qu’un jour BIG MOP revienne dans une de vos séries?
E.K. : Oui, bien sûr. Pour l’instant il n’est pas au Cameroun. Il vit en Angleterre. Mais c’est possible, d’autant plus possible qu’il est mon petit frère. Dès que je trouve un projet où je le sens bien, je le fais revenir. Je le connais mieux que tout le monde. Vous savez, les gens ont besoin qu’on donne la chance à de nouveaux visages, en même temps, ils ont besoin que ceux qui ont fait les beaux jours reviennent. Nous, on laisse un peu les anciens, même sur cinq séries. Après ils reviennent en anciens, mais en même temps comme des nouveaux. Parce que d’autres personnes qui ne les connaissaient pas, vont les découvrir. Donc c’est une philosophie que nous avons… Que les gens ne soient pas surpris, parce qu’après Madame Monsieur, on ne va pas entièrement continuer avec la même équipe. Il y a des gens avec lesquels on va avancer, et il y a d’autres qu’on va mettre de côté, non pas parce qu’ils ne sont pas bons, ou encore parce qu’ils nous ont créé un problème ou quoi que ce soit, mais parce qu’il faut donner la chance à de nouvelles personnes. On peut même être plus ambitieux dans notre prochaine série, rêver plus grand et faire une série avec des noirs et des blancs, ou une série panafricaine. Parce que, maintenant, nous on ne veut plus faire des séries qu’on va seulement vendre en Afrique. Du coup, il faut avoir une politique marketing, il faut penser en producteur : comment est-ce que je vais exploiter ? La chance que j’ai c’est que je suis réalisateur et producteur. Donc, quand il faut réaliser, je rêve, mais quand il faut produire, je calcule. Du coup, je me demande ce que ça va me donner, ce que ça va m’apporter!
AYILA : Après Madame.Monsieur, à quoi doit-on s’attendre ? Des sources parlent d’une série avec Franck Thierry Lea Malle…
E.K. : Ce sont des sources… J’ai déjà fait un film avec Léa Malle, L’ACCORD. J’ai travaillé avec lui dans ce film-là. Et puis, je n’ai pas de problèmes à collaborer avec quelqu’un au Cameroun. Je peux travailler avec tout le monde. Mais pour le moment, on parle de Madame Monsieur. On ne parle pas encore d’autres choses.
Propos recueillis par Rostand WANDJA
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