En compétition durant la dernière édition du festival Écrans Noirs, Le Bleu du Caftan réalisé par Maryam Touzani n’a pas manqué d’attirer l’attention de part son sujet qui drible les normes qui régissent les mœurs au Cameroun. Nous vous proposons notre critique de ce film sensible et provocateur.
Le Bleu du Caftan, long-métrage de fiction de 122 minutes réalisé par la marocaine Maryam Touzani, raconte l’histoire de Halim et Mina, un couple marocain, qui tiennent une boutique de vente et confection des caftans et vivant avec un secret, l’homosexualité du mari. Le couple vit en harmonie avec ce secret jusqu’au moment où ceux-ci décident de prendre un apprenti dans la boutique, le jeune Youssef. Une arrivée qui vient bouleverser la vie et l’équilibre de ce couple. Entre la jalousie de Mina qui s’installe et sa maladie leur équilibre est menacé. Mais, l’amour et l’acceptation qui lient ce couple prend le dessus. Les trois personnages du film parviennent à affronter leurs peurs et à vivre avec ce secret.
Le Bleu de Caftan s’ouvre avec un gros plan sur une main qui caresse avec soin un tissu bleu, le plan s’agrandit progressivement pour que l’on découvre le visage de Halim, un homme dans la cinquantaine, qui continue d’explorer ce tissu avec une douceur presque sensuelle. Cette première scène qui est accompagnée d’une musique douce nous plonge déjà dans une ambiance particulière. La confection et la broderie de ce caftan bleu, art centenaire dans le monde orientale, est le fil conducteur du film. La présence de ce tissu bleu en début du film se justifie tout au long de celui-ci car ce tissu est le caftan bleu évoqué dans le titre du film et son rôle esthétique dans la dramaturgie est justifié lorsque Halim, au décès de sa femme Mina, retire le linceul blanc dont elle est vêtue pour lui mettre finalement ce caftan bleu allant ainsi à l’encontre des traditions marocaines ce qui lui vaut le rejet des siens. Halim, qui est un maalems -artisan marocain- et donc quelqu’un sensé être attaché à la tradition, se retrouve rejeté par les siens et doit ensevelir sa femme sans une foule comme il est de coutume. Une isolation qui est encore plus perceptible dans cette séquence car au début du film la réalisatrice nous fait vivre une séquence de deuil avec son immense cortège funéraire. Seul Youssef le nouvel apprenti avec qui il a commencé une aventure amoureuse est à ses côtés.
L’on peut donc s’interroger sur la problématique du rejet et de l’acceptation de certaines pratiques par les traditions marocaines. Halim par ce geste tient à affirmer et confirmer certainement sa vision de la liberté dans les choix de vie et se conforter dans ses tendances et pratiques homosexuelles qu’il a longtemps enfui dans le secret familial et comme on le dit souvent chaque famille a son secret. La dernière scène du film le confirme d’ailleurs : on peut voir Halim et Youssef assis ensemble comme un couple dans un bar rassemblant uniquement des hommes, certainement ceux qui assument leur appartenance aux tendances homosexuelles ainsi présentés, l’on peut déduire que la réalisatrice donne son point de vue à travers cette fin, nous sommes donc libres de nos choix et de nos appartenances.
Concernant les aspects techniques, la construction de l’intrigue et la composition des plans sans oublier la qualité sonore, l’éclairage et le montage, il est clair que la réalisatrice a gagné son paris, tous ces éléments technico-artistiques sont biens conduits par celle-ci et la poétique est mise en avant dans la narratologie le montage et le jeu d’acteur. Ensemble d’éléments qui ont certainement conduit à la sélection de ce film au festival Écrans Noirs 2023 (le film y a gagné le prix de la critique dénommé prix Soumanou Vieyra initié par la fédération africaine de critiques cinéma) et bien avant à la sélection du film en 2022 au festival de Cannes dans la catégorie un certain regard.
Bien que le sujet soit voilé, mais clairement perceptible dans le film, et vu qu’il va à l’encontre des mœurs du Cameroun qui condamne cette pratique, l’on peut se poser la question sur la censure dans les festivals nationaux. Pourquoi le film traitant d’homosexualité faisait-il partie de la sélection officielle du festival Écrans Noirs ? La question reste jusqu’ici sans réponse. Toutefois la thématique du film n’altère nullement sur sa qualité, c’est un film qui répond aux espérances et attentes techniques et esthétique d’une belle œuvre cinématographique.
Yolande WELIMOUM
Critique de cinéma
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