« Viens Regarder Tes films en Salle de Cinéma » est un concept qui se propose de diffuser des films africains dans les salles de cinéma en France. Nous sommes allés à la rencontre du promoteur de cette initiative, Berenger Mendjiengoué, pour comprendre les contours de ce projet axé sur le cinéma africain.
Ayila : Vous êtes promoteur du concept « Viens Regarder Tes Films en Salle de Cinéma », comment est né ce projet et depuis combien de temps existe-t-il ?
Berenger Mendjiengoué : Viens Regarder Tes Films en Salle est une initiative qui existe depuis un an déjà, ce n’est plus un projet car il s’est déjà matérialisé. Ça fait un an que nous avons démarré les activités sur le terrain, nous avons déjà formé des stagiaires et tout ce qui reste à faire c’est de projeter les films.
Ayila : Vous vous proposez de diffuser les films africains dans les salles françaises. Faire diffuser son film dans des salles de cinéma n’est jamais aisé, quels sont les challenges que vous rencontrez pour diffuser des films africains dans des salles françaises ?
B.M. : Je pense que les challenges sont à trois niveaux. Le premier niveau de challenge concerne les producteurs africains. Très souvent il y a un manque de confiance. Quand tu appelles un producteur africain pour lui dire que tu projettes des films en salle en France, immédiatement il devient frileux. Ceci s’explique par la peur qu’ils ont de se faire escroquer, car plusieurs ont vécu des situations véritablement malheureuses. Il y a également un problème de coût car le producteur veut savoir ce qu’il va gagner. Donc il faut convaincre ces producteurs qui sont parfois retissant.
Le plus difficile est de créer cette rencontre en l’œuvre cinématographique et ces différentes populations africaines en salle.
Au niveau des spectateurs il faut les convaincre de venir regarder les films en salles de cinéma parce que quand on quitte l’Afrique pour venir en France c’est pour chercher l’argent. Beaucoup vivent ici sans s’imprégner des lieux culturels. En Afrique il y a un problème de manque de salles de cinéma, ici en France il y a plus de 5000 écrans mais les gens sont plus focalisés sur le boulot. Donc le plus difficile est de créer cette rencontre en l’œuvre cinématographique et ces différentes populations africaines en salle, c’est ça le gros challenge et c’est là où notre organisation se positionne pour faire cette connexion. Au niveau des salles de cinéma nous avons des partenariats mais pour qu’une salle te fasse confiance il faut que les spectateurs puissent jouer le jeu, que les producteurs puissent jouer le jeu. Nous avons deux modèles de projection : il y a le modèle sous forme de distribution et le modèle sous forme de projection de films. Notre modèle est celui des projections dans les salles qui nous font confiance maintenant. Il faut convaincre les producteurs et les spectateurs parce que beaucoup de producteurs ne comprennent pas les enjeux et beaucoup de spectateurs sont encore dans la logique de la gratuité quand il s’agit d’un film africain. Donc il y a aussi un problème d’éducation et de sensibilisation.
Ayila : Vous parlez de réticence que les producteurs ont à donner leurs films, quels sont les mécanismes que vous mettez en œuvre pour leur donner confiance ?
B.M. : Les mécanismes pour que les producteurs nous fassent confiance vont se voir sur le long terme, il y a un proverbe qui dit qu’on voit le maçon au pied du mur. Plus on va aller à la rencontre des producteurs, dans des festivals… plus les producteurs pourront nous faire confiance. Aussi nous voulons évoluer avec des maisons de productions; donc si on prend le film de quelqu’un et que ça se passe bien, il pourra nous faire confiance pour ses prochains films. Également avec les échos du travail que nous aurons eu à faire avec certains films cela va convaincre d’autres producteurs.
Ayila : Quelle est votre cible première, le public européen ou les africains de la diaspora ?
B.M. : Concernant le public, notre cœur de cible c’est d’abord le public africain, néanmoins nos projections ne sont pas uniquement dédiées au public africain. Le cœur de cible où nous focalisons nos énergies est le public africain. Tout cela a un enjeu majeur, car il faut avoir un cœur de cible, si ton cœur de cible est un public occidental en France et que tu vas chercher un film africain, ce n’est pas la même démarche. Les africains sont généralement friands d’un Cinéma dit « populaire » et « commercial », ce qui n’est pas toujours le cas pour le public occidental. Donc nous nous focalisons plus sur les spectateurs africains, maintenant il peut avoir des occidentaux qui vont venir se greffer. Il y a une communication pour emmener les gens en salles, pas seulement les africains.
Ayila : Récemment vous avez fait sortir le film Wakimbizi, comment s’est passé le processus pour arriver à cette projection ?
B.M. : Wakimbizi c’est un film de la République Démocratique du Congo (RDC) qui a été tourné près du Katanga et réalisé par Yves Tata Hendwa. Pour acquérir le film nous avons d’abord regarder la bande annonce qui nous a marqué parce qu’il y avait de l’action et du suspense. Ensuite nous sommes entrés en contact avec le producteur du film. Nous avons longuement échangé pendant 5 à 6 mois. Durant ces moments d’échanges, l’objectif du producteur était de valoriser son œuvre et d’avoir une reconnaissance à l’international. Donc la projection à Paris c’était l’avant-première, ce film n’a jamais été diffusé ailleurs. Durant le Covid il n’a pas pu sortir son film en RDC. D’ailleurs nous sommes entrain de programmer une seconde projection du film à Paris en novembre 2021. Pour cette projection nous allons massivement inviter la communauté congolaise et africaine à venir regarder le film. Cette fois la projection se fera gratuitement grâce au concours de certains partenaires notamment l’ambassade de la RDC. Nous travaillons en ce moment avec le ministère de la culture de la RDC et l’ambassade pour qu’il obtienne son visa et qu’il arrive ici en France et passe dans certains médias internationaux et africains pour parler de son film. Côté financier, il s’agissait plus d’un investissement, actuellement en France avec le Covid, les gens sont frileux pour aller dans des lieux culturels car il faut un pass sanitaire. Donc c’est un gros risque que nous avons pris pour lancer l’évènement. L’objectif majeur n’était pas financier mais plus un objectif d’investissement. Et le public a aimé le film. Donc nous invitons les spectateurs africains et congolais à venir voir le film Wakimbizi en novembre, cette fois ce sera gratuit en partenariat avec l’ambassade de la RDC en France.
Ayila : Vous organisez également l’Atelier de la Compétition Cinématographique, il s’agit de quoi ?
B.M. : C’est un atelier durant lequel les représentants de tous les départements de l’Ile de France, reçoivent une formation durant 2 mois dans divers département (réalisation, production, scénario, etc). À la fin de ces deux mois intenses, les stagiaires doivent réaliser un film pour compétir. La date butoir pour remettre les court-métrages c’est novembre. La thématique de ces courts métrages c’est l’Afrique. Donc les stagiaires sont entrain de tourner leurs courts-métrages et c’est une compétition internationale, nous avons des candidats à Yaoundé, à Maroua. Donc nous allons organiser un évènement autour de la projection de ses films qui s’appelle Made in Black. Cette rencontre se tiendra en décembre. Il y aura un prix pour les films que le jury et les spectateurs auront le plus aimés, nous sommes en train de nouer certains partenariats avec des mairies. Durant cet événement Made in Black, nous allons faire un appel à bande annonce pour les réalisateurs qui aimeraient projeter leurs films en France.
Ayila : Quel regard vous portez sur le cinéma africain actuel ?
Au niveau esthétique, il faudrait que les réalisateurs mettent un peu de folie dans leurs oeuvres.
B.M. : Je pense qu’il peut avoir un regard d’un point de vue esthétique et sémiologique au niveau du contenu de ces films et de la valorisation commerciale. Au niveau du contenu je pense que de plus en plus sur le continent, il faut qu’on pense beaucoup plus à des coproductions entre les pays entre les zones géographiques. C’est à dire qu’un producteur au Cameroun ne doit pas seulement se limiter au Cameroun, il peut coproduire avec la Côte d’ivoire, la RDC. Il faut une ouverture des réalisateurs. C’est vrai qu’il y a des auteurs qui du fait des difficultés de financement n’arrivent pas à avoir cette hauteur d’esprit de savoir qu’il faut des coproducteurs. C’est un peu à ça que peut servir »Viens Regarder Tes Films en Salle« . Au niveau esthétique il faudrait que les réalisateurs mettent un peu de folie dans leurs oeuvres. Il y a un film camerounais, Run de Rodrigue Fotso, il y a une certaine folie dans ce film. Il faudrait que nous essayions de mettre cette folie, cette envie de faire rêver les gens par nos histoires dans la manière de raconter et dans la manière de filmer. Il faut qu’on sente que le réalisateur n’a pas juste pris une camera mais qu’il va au-delà. Il faut des films qui reflètent des enjeux artistiques et économiques. Je terminerai en disant que le spectateur a un rôle important à jouer car c’est lui qui doit décider de consommer les œuvres africaines que ce soit en Afrique ou en occident ; c’est ça qui va contribuer au développement socio-économique du continent.
Ayila : Quelle est votre actualité du moment et quels sont les projets à venir ?
B.M. : Le projet le plus proche c’est la seconde projection du film Wakimbizi (wakimbizi est un mot en swahili qui veut dire les réfugiés), ensuite nous allons projeter un film camerounais en décembre A Chacun Sa Coupe, films dont nous avons participer à la production. Toujours en décembre nous allons lancer la rencontre cinématographique Made In Black. Cette rencontre sera un moment pendant lequel seront projetés les films produits pendant l’Atelier de la Compétition Cinématographique. Nous allons également faire un appel à bande-annonces et les bande-annonces sélectionnées pourront bénéficier soit d’une projection unique ou d’une distribution dans plusieurs salles de cinéma.
Propos recueillis au téléphone par Rostand Wandja
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