Les professionnels des médias camerounais ont répondu présent pour la projection presse du film « Bendskins » à l’Institut Français de Yaoundé le 03 juillet dernier. Un long-métrage réalisé par Narcisse Wandji qui nous plonge dans le quotidien tumultueux des conducteurs de moto-taxi communément appelés « bendskineurs ». Une œuvre originale qui s’assume, qui n’a pas peur de choquer, de titiller et surtout de faire passer du bon temps. En bref, du cinéma.
Bendskins est une chronique urbaine de la société camerounaise avec le regard de 3 moto-taximen. Le réalisateur et co-scénariste de cette œuvre, Narcisse Wandji, ancien moto-taximan, décide de faire avec ce premier long-métrage, un film choral, mais qui ne répond pas forcement aux règles du film choral. Car là où le film choral nous fait vivre des histoires autonomes de personnages qui s’entrecroisent et s’entremêlent, Bendskins (moto-taxi en argo camerounais) nous racontent l’histoire de trois Benskineurs qui n’ont pour seuls points communs que, la rue et la moto. 3 histoires autonomes qui feraient chacun un court métrage, mais trois histoires autonomes mises ensemble et dans lesquelles le public saura s’identifier. Entre l’histoire du moto-taximan arracheur de sac qui se lie d’amour avec une de ses clientes, le moto-taximan qui engrosse la fille du policier méchant du quartier (clin d’œil à Quartier Mozart de Jean Pierre Bekolo) qu’il est censé accompagner à l’école et cette moto-taxiwoman qui est à la recherche de son violeur, un panorama non exhaustif de la société urbaine camerounaise est dressé. 3 histoires donc, qui parlent d’amour, de viol, de grossesse, de responsabilité mais aussi de société et de politique car le réalisateur et son co-scénariste Bouna Guazong ne manquent pas d’aborder de manière subtile ou pas, des sujets politiques d’actualité au Cameroun.
A cette histoire s’ajoute les nombreux clins d’œil du réalisateur à deux cinéastes qui selon lui l’inspirent dans sa démarche artistique : Jean Pierre Bekolo et le regretté Djibril Diop Mambety. Deux oeuvres respectives de ces cinéastes sont mise en lumière, Quartier Mozart (1992) et Touki Bouki (1973). Avec tous ces ingrédients, le film se regarde d’une traite, le rythme est maintenu de bout en bout à l’exception d’une ou deux séquences dont la pertinence pourrait bien être questionnée.
Autre élément qui permet de voir le film avec toujours de l’intérêt, le langage des personnages qui colle bien à leur caractère et l’utilisation plus qu’efficace de la musique pour illustrer certaines séquences. D’ailleurs la pertinence de ces musiques avec certaines séquences aura fait éclater de rire plus d’un dans la salle. La musique intervient là où il faut et quand il le faut. Bendskins essaie de questionner ou d’apporter son regard sur la place des bendskineurs dans la société. Devenus des acteurs majeurs du transport dans les villes camerounaise, ces moto-taximen et women forment un corps de métier né du chômage ambiant et de l’incapacité des gouvernants de trouver des débouchés et des emplois aux nombreux jeunes sorties des universités et bardés de leurs diplômes. Que faire donc de ces moto-taximen, à la fois utiles et encombrants ? Problématique épineuse que le film mettra peut-être encore à l’ordre des débats. Le film se veut engagé et met à la barre les politiques locales à qui il incombe de trouver une solution à ce phénomène de société.
Bendskins c’est aussi une démarche artistique intéressante. Le film fait certainement partie des rares oeuvres produites ces 5 dernières années au Cameroun avec une réelle démarche et proposition cinématographique. Si le jeu d’acteur n’est pas convainquant en tout point, quelques acteurs se démarquent réellement notamment Danilo Melande qui incarne Sani le Bendskineur cinéphile et féru de classique du cinéma africain à l’origine de la grossesse de Samedi (encore un clin d’œil à Quartier Mozart) incarnée par Stella Tchuisse. Est-ce finalement l’histoire de Sani ou de Samedi ? Question à tous les scénaristes. On peut également saluer la prestation de Merveille Akamba, qui porte avec assez de crédibilité son rôle de moto-taxiwoman qui mène une quête douloureuse dans le but de trouver son violeur et père de sa fille.
Les décors du film dépeignent avec beaucoup de justesse la ville, Yaoundé, où se déroule l’intrigue. Des décors richement mise en valeur grâce au travail de photographie très réussie d’Eugene Sotti qui signe ici son premier long métrage en tant que directeur de la photographie. Le réalisateur et le directeur de la photographie ont opté pour des images chaudes, très contrastées et quelque peu sombres pour dépeindre selon Narcisse Wandji « l’univers dystopique » dans lequel le film s’inscrit. Une chose est certaine Bendskins propose une histoire qui s’inscrit dans le quotidien rocambolesque et la réalité de chaque camerounais. Et l’équipe derrière le film a usé de toute l’énergie pour proposer un film respectable.
En sommes Bendskins est un film qui se laisse regarder, un film qui a ses forces et ses faiblesses mais surtout un film qui transpire d’énergie, de volonté et d’audace. Caractères forcement nécessaires pour construire le nouveau cinéma camerounais. Le film qui a été sélectionné au festival Cinémas d’Afrique de Lausanne 2021 sortira officiellement au Cameroun les 27 et 29 Août 2021 à Douala et Yaoundé selon l’annonce faite par la productrice du film Evodie Ngueyeli. Un film que nous recommandons fortement à tous nos lecteurs mais aussi à tous les cinéphiles du 237 !
Rostand Wandja
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