Nommée au LFC Awards 5 dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle pour son rôle dans le film L’Accord de Frank Thierry Lea Malle, l’actrice camerounaise Reine Mpouadina a accepté avec beaucoup d’entrain de répondre aux nombreuses questions de votre magazine. Sans langue de bois et avec ses immenses éclats de rires, l’actrice fait le point de sa carrière cinématographique mais aussi des dernières expériences professionnelles qu’elle à vécu. Une conversation rafraichissante qui vous accrochera surement et qui vous permettra de découvrir et de redécouvrir une actrice sur qui il faudra certainement compter dans les années à venir.
Je peux donc dire que c’est le cinéma qui m’a choisi.
Ayila : Comment s’est passée votre rencontre avec le cinéma et comment décririez-vous votre parcours jusqu’ici ?
Reine Mpouadina : Toute petite déjà je rêvassais à être une actrice mais sans plus. Ma rencontre avec le cinéma se fait réellement en 2008 quand, à l’université, j’ai accompagné une amie passer le casting d’un court-métrage [Oser ou S’exposer de Gervais Djimeli Lekpa, Ndlr]. A la fin de cette journée là, le réalisateur a insisté pour me faire passer aussi le casting et pour qu’il me lâche, j’ai fini par accepter sans grande conviction, finalement c’est moi qui ai été retenue pour le rôle principal. Je qualifierai mon parcours d’atypique car au départ je n’ai jamais pensé faire carrière dans le cinéma, j’ai eu des expériences professionnelles assez diversifiées. Je peux donc dire que c’est le cinéma qui m’a choisi. Dès lors que la soif de l’art a été plus forte, j’ai décidé d’en faire un métier et de me donner les moyens de réussir.
Ayila : Cette année, vous êtes nommée aux LFC Awards dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle, pour votre interprétation de Amélia Koum dans le film L’Accord de Frank Thierry Léa Malle. Comment vous êtes-vous sentie à l’annonce de cette nomination ?
R.M. : C’est évidemment la joie qui a dominé, j’étais très heureuse quand je l’ai appris car je ne m’y attendais pas du tout. J’en profite pour remercier la promotrice Mme Françoise Ellong, le comité d’organisation et de sélection des LFC Awards. Pour moi être nommée à cette 5e édition, savoir que des professionnels du métier m’ont sélectionné parmi tant d’autres est déjà une grande fierté, un signe d’encouragement et une motivation supplémentaire à encore plus de travail. Alors on croise les doigts pour le soir du 24 novembre [la 5ème édition des LFC Awards se tiendra ce 24 novembre 2022 à Douala, Ndlr].
Ayila : Avec le film L’Accord vous revenez dans le cinéma après 10 ans d’absence. Pourquoi cette absence, qu’est-ce-qui s’est passé durant toute cette longue période et comment s’est passé ce retour ?
R.M. : Mon dernier film, le moyen-métrage Le désert ou le maquis, est sorti en 2010 . Entre 2010 et 2021, année où je tourne L’Accord qui est mon 1er long-métrage et aussi le film qui signe mon come-back, j’ai simplement vécu ma vie. J’ai mis la priorité sur des projets de vie personnelle, familiale, professionnelle. En 2018 je découvre le doublage et c’est pendant mes sessions de doublage que renaît en moi l’envie de renouer avec l’actorat. Alors quand s’est présentée l’opportunité du casting de L’Accord, je n’ai pas hésité, je me suis dit que cette fois j’allais tout donner.
Quand je vois la réaction des gens après les projections, leur émotion, leur joie, leur étonnement etc. c’est ma plus grande satisfaction.
Ayila : Qu’est-ce-qui vous a motivé à devenir actrice ?
R.M. : Ah lala ! L’idée de pouvoir vivre plusieurs vies m’a toujours fasciné (rires). Au doublage déjà je pouvais être qui je voulais. Au cinéma c’est un peu pareil, j’aime cette capacité à me glisser dans la peau des différents personnages que j’incarne. En outre, le cinéma inspire quotidiennement des milliers de personnes à changer leur vie, leur opinion. Je veux pouvoir inspirer, émouvoir, passer des messages, faire rêver. Quand je vois la réaction des gens après les projections, leur émotion, leur joie, leur étonnement etc. c’est ma plus grande satisfaction. C’est d’autant plus une grâce de participer à de beaux projets que ce n’est pas évident car être acteur c’est une activité pour laquelle il y a beaucoup de prétendants et peu d’élus au final.
Ayila : Dans L’Accord, Amelia Koum que vous incarnez est une femme politique charismatique aux dents longues, prête à de nombreuses ruses pour sauver l’honneur de sa famille et de son fils. Même si à des moments le personnage ne va vraiment pas loin dans sa caractérisation, pourquoi avoir accepté ce rôle ?
R.M. : »Femme politique aux dents longues’‘ ? (Rires). Déjà il faut savoir que je n’avais pas postulé pour ce rôle mais plutôt pour celui du substitut du procureur. N’ayant pas assez d’expérience, je ne me sentais pas à la hauteur de porter le rôle d’Amélia Koum, moi qui revenais au cinéma sans réelle formation et après une si longue absence. J’ai accepté le rôle parce que Primo, j’avais aimé Innocent(e) et je souhaitais vivement travailler avec la maison de production Inception Arts & Com, mais j’étais loin de me douter que ce serait si tôt. Deuxio, l’écriture du scénario, l’histoire du film m’a beaucoup emballé et j’ai aimé le personnage d’Amélia. Pour ce rôle, ils auraient pu retenir n’importe quelle autre actrice plus expérimentée ou plus connue, mais ils m’ont choisi moi ; quand ils me l’ont annoncé j’avoue que j’ai eu un gros coup de pression. Ils avaient cru en moi, alors je me suis promis de tout faire pour que ça marche. Tercio, jouer sous la direction de Frank Thierry Léa Malle était déjà inespéré pour moi, alors je n’allais pas bouder mon plaisir ni risquer de manquer une si belle opportunité.
Ayila : Comment avez-vous approché ce personnage et comment s’est passé le processus de construction de ce rôle ?
R.M. : Déjà comme je l’ai dit, j’ai aimé ce personnage. C’est aussi important pour pouvoir s’y investir. De plus nous avons eu avec les autres acteurs du film, quatre mois de répétitions pendant lesquels nous avons travaillé tant la technique que les émotions. Personnellement, pour construire et m’approprier le rôle d’Amélia Koum, je me suis représenté un archétype de femme politique sur lequel, et en suivant le scénario, nous avons travaillé et greffé des caractéristiques, des émotions, une gestuelle, une voix propre à Amélia. En dehors des répétitions très intenses, je suis devenue Amélia Koum à temps partiel, où que je me trouvais, je travaillais ma posture, ma voix, mon regard, mes émotions, mes textes etc. Une petite anecdote en passant, avant le casting j’avais pratiquement fait 3 ans sans porter de talons, sauf que le personnage ne joue qu’avec, j’ai donc dû me réhabituer à être à l’aise avec ça et même pendant les répétitions je devais les porter, du coup mes tenues de sport avec les talons créaient souvent des looks inassortis et cocasses qui faisaient marrer tout le monde, moi y compris !
Ayila : Est-ce qu’on pourrait dire qu’il y a une petite part de vous dans ce rôle ? Ou dans votre vie de tous les jours vous êtes tout à l’opposé ?
R.M. : Outre le fait de prêter mon physique et ma voix à Amélia, on peut dire qu’il y a une petite, toute petite part de moi dans ce rôle dans la mesure où comme Amélia, je n’aime pas perdre, comme elle je suis une mère poule, très protectrice et comme elle, je la cite, »je n’ose pas imaginer ce que je ferai à quelqu’un qui touche à mon enfant ». À part cela je suis tout à l’opposé de Madame la Mairesse car dans la vie de tous jours je suis une vraie boute-en-train, toujours souriante, nullement carriériste, néanmoins ambitieuse. Enfin ma famille et surtout mes enfants sont ma priorité et passent avant tout.
La notion de sacrifice rentre naturellement dans notre vie une fois que nous devenons mère/père car c’est le devoir de tout parent de protéger son enfant.
Ayila : Vous êtes également mère dans la vraie vie, est-ce-que vous pensez que le désir de protéger son enfant justifie tous les sacrifices ?
R.M. : Je présume que la notion de sacrifice rentre naturellement dans notre vie une fois que nous devenons mère/père car c’est le devoir de tout parent de protéger son enfant. En tant que mère je serai prête à tout pour mes bébés. Maintenant toute raison gardée, il faut reconnaître que le désir de protéger son enfant ne justifie pas de commettre l’impensable ou l’immoral.
Ayila : Quelle est votre regard sur la présence des femmes dans l’environnement socio-politique de notre société ?
R.M. : Les femmes font partie de la société donc c’est normal qu’elles participent à la marche en avant de celle-ci. Bien que les choses évoluent, elles restent encore sous représentées au sein des fonctions dirigeantes telles les assemblées élues, la fonction publique ou le monde universitaire. Pour ce qui est de la notion de leadership féminin on constate que c’est encore un sujet sensible comme toutes les questions qui touchent au genre. Seulement, l’urgence et l’importance de faciliter l’accès des femmes à des fonctions de leadership restent d’actualité d’autant plus qu’elles jouent un rôle essentiel pour surmonter les plus grands défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Ceci étant elles doivent être entendues, valorisées et appréciées dans l’ensemble de la société afin que s’y épanouissent leurs talents et s’y reflètent leurs perspectives et leurs choix, pour leur avenir et celui de la société.
Ayila : Quid de la représentation des femmes dans le cinéma camerounais en général ?
R.M. : Déjà le cinéma camerounais a de très belles femmes. Qu’elles soient actrices, réalisatrices, productrices ou même techniciennes, elles sont de plus en plus nombreuses à se lancer dans les métiers du cinéma et c’est très louable ; il faut continuer à encadrer et encourager les femmes qui s’y engagent et s’y investissent tant devant la caméra que derrière car elles ont également leur place, leur voix à faire entendre, leur vision des choses et du monde à faire savoir, des émotions à transmettre. Comme partout ailleurs, ce n’est pas toujours évident pour elles de mener de front vie professionnelle et vie personnelle. Pour la jeune génération en tout cas, c’est motivant de voir cet engouement.
Ayila : Quelle était votre marge de manœuvre en matière de création sur le tournage ?
R.M. : Tout au long des quatre mois de répétitions déjà, l’équipe a fait un travail remarquable. Personnellement, sachant qu’Amélia Koum était moi sans être moi, j’ai simplement évité de lui donner des attitudes, des manières de faire qui sont miennes. Et surtout F.T Lea Malle et son équipe étaient assez ouverts et à l’écoute de mes propositions et de mes sensibilités, ils ont été respectueux et bienveillants à mon égard et m’ont aidé à m’approprier ce personnage. On tirait tous à la même corde pour que le film soit réussi, si bien que ça été une expérience magnifique.
Ayila : On vous a aussi vu récemment dans Madame Monsieur Saison 3, dans un rôle un peu similaire à ce que vous jouez dans l’Accord. Vous ne choisissez que ça ou ce n’est que ça qui arrive jusqu’ici ?
R.M. : J’ai effectivement eu le plaisir de jouer dans Madame…Monsieur Saison 3 de Ebenezer Képombia. Seulement le personnage de Liliane Ebongué que j’y incarne n’est pas tout à fait similaire à celui d’Amélia Koum. Contrairement à la Mairesse qui est une femme politique délaissant son foyer et prête à tout pour que rien ne nuise à sa carrière, ici on a une femme, épouse de notaire, prête à tout pour sauver son couple et récupérer son mari empêtré dans une affaire de fraude un peu malgré lui. Les points communs qui existent cependant entre ces deux femmes sont leur force de caractère et leur audace. Je suis celle qui au final décide des rôles que j’incarne, il peut arriver qu’ils soient dans le même registre sauf qu’il n’y a pas que ça qui m’est proposé. J’aime le challenge et naviguer entre différents univers ne m’effraie nullement pas, au contraire je veille à m’assurer pour de futurs projets de ne pas rester enfermée dans un seul genre de personnage.
Ayila : Comment s’est passée l’expérience madame monsieur ? Quitter du cinéma pour la télévision quel effet ?
R.M. : L’expérience Madame…Monsieur a été agréable. Le tournage se déroulait à Douala, et bien que le rythme sur le plateau était très speed, c’était sympa. Je dois reconnaître qu’avec le succès de la série, avoir eu la confiance de M. Képombia pour un rôle dans cette saison 3 était très gratifiant pour moi et je lui suis reconnaissante pour cette opportunité. Du cinéma à la télévision… wow ! (Rires). C’est à la fois impressionnant et intéressant dans ce sens que la TV touche une plus large audience que le cinéma, par conséquent, grâce aux retours du public, vous réalisez à quel point vous êtes regardé de par le monde, on vous reconnaît aussi davantage dans la rue. Çà peut également être un bon moyen d’être vu par d’autres professionnels du métier, ce qui peut faire naître de nouvelles collaborations.
« Le monde a besoin de source d’inspiration »
Ayila : Être actrice est-ce une vocation pour vous ?
R.M. : Aristote disait : » Là où vos talents rejoignent les besoins du monde, là est votre vocation ». Je crois réellement que si en étant actrice, je peux arriver à influencer positivement les gens, amener d’aucuns à croire en leurs rêves, alors je n’en aurai que plus de mérite car le monde a besoin de source d’inspiration. Par-ailleurs, avec le recul sur toutes ces années j’ai la nette conviction que c’est vraiment une vocation que j’ai tenté de refouler ou que les situations de la vie ont momentanément écarté mais qui a fini par me rattraper et voilà j’ai choisi de m’y conformer. Cela vaut pour le cinéma en particulier et l’art en général (j’ai au reste écrit un roman à l’âge de 14 ans et aussi des chansons, tout cela resté dans les tiroirs) ; Je me suis toujours sentie une âme d’artiste.
Durant une session de doublage à 237 RE Studios.
Ayila : Aujourd’hui vous vous rapprochez de plus en plus du théâtre avec quelques projets dans ce sens. Le théâtre, le cinéma ou les deux ?
R.M. : Eh ben, vous êtes un sacré détective ! Les deux, cinéma et théâtre et même encore plus, pourquoi choisir ? Dans une autre vie j’aurai sûrement été exploratrice tant j’aime naviguer entre différents univers, ce que je trouve très amusant et enrichissant. De nature très curieuse, je suis ce que l’on appelle une épistémophile, donc dans la vie en général et dans l’art en particulier je suis très éclectique. Je ne veux surtout pas me cantonner dans un unique domaine, c’est pourquoi oui j’ai accepté avec grand plaisir certaines des propositions qui m’ont été faites notamment au théâtre. Tenez-vous bien je pourrai prochainement vous surprendre dans un tout autre domaine, c’est un projet en cours, s’il plaît à Dieu qu’il se fasse.
Ayila : Des projets à venir ?
R.M. : Oui plusieurs, mais pour l’heure je ne peux encore en dire plus. Toutefois mon actualité se dévoilera au fil du temps.
Propos recueillis par Rostand Wandja
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