Lauréat du concours « 10 jours pour un film » édition 2019 organisé par le Goethe Institut et le festival Écrans Noirs, Joseph Akama revient cette année avec un deuxième court métrage « Into the Den ». Un court encore plus ambitieux que le précédent sur le plan technique et artistique. Le film sera projeté le 5 novembre 2020 à Yaoundé à l’occasion de la 24eme édition du Festival Écrans Noirs. Joseph Akama nous a accordé une longue interview et nous a entretenu sur les contours de ce projet et sur sa vision du cinéma.
Alerte spoiler!
Interview réalisé le 24 octobre 2020
J’aimerai apporter un air frais et me démarquer du style de cinéma qu’on a l’habitude de voir en Afrique et au Cameroun.
Ayila : Tu viens de finir le tournage de ton deuxième court métrage, Into The Den, comment s’est déroulé le tournage et tu es à quel niveau aujourd’hui ?
Joseph Akama : Le tournage s’est déroulé comme tous les tournages, pas comme prévu ! (rire) Il a fallu beaucoup improviser, beaucoup s’adapter pour combler mes besoins en tant que scénariste-réalisateur et aussi pour combler les objectifs que nous nous étions fixés avec 103 Films, avec les techniciens et les gens qui nous ont fait confiance sur le projet.
Dans Into the Den (ITD), tu nous embarques dans un univers très connu par le public africain, la sorcellerie, mais qui est malheureusement rarement raconté par les cinéastes africains.
J’aimerai apporter un air frais et me démarquer du style de cinéma qu’on a l’habitude de voir en Afrique et au Cameroun. Je voudrai m’éloigner des drames, des films de salons, des comédies, des films à pathos et extrêmement tragiques. Je suis particulièrement fan des films thriller, des films psychologiques, des films qui explorent les différentes émotions et je pense que c’est un peu dans ça que l’on se retrouve dans ITD, c’est un thriller fantastique. Je trouve que le gros challenge, c’est de faire des films qui sont à la fois divertissants et intelligents. Par intelligent je veux dire un film où le réalisateur ne te prend pas pour quelqu’un qui ne sait pas regarder un film. Le réalisateur ne te donne pas tout, il laisse des trous et te laisse combler ces trous; il te laisse découvrir le film, il laisse des paratextes, des signes, des symboles mais évidemment sans que ça ne rende le film irregardable pour celui qui n’a pas ces notions ou qui ne peut pas aller au 2eme degré ou au 3eme degré de lecture.
Comment t’est venue l’idée du film Into the Den ?
Alors c’est très bête parce que ITD commence sur une question que je me suis posée, et si je racontais mes rêves au gens ? C’est de là que tout est partie, j’ai des rêves, nous avons tous des rêves et ce que nous vivons dans ces rêves n’est pas toujours logique. Dans ITD il y’a une grosse question que je pose et j’apporte aussi la réponse dans le film c’est : est ce que la sorcellerie est limitée aux africains ? est ce que la sorcellerie est limitée aux noirs ?
J’adore les films psychologiques, j’adore les thématiques qui requestionnent l’humanité, qui nous permettent de nous découvrir en tant qu’humain
Est-ce que la sorcellerie existe ?
Je pense que l’univers du film est assez planté et assez assumé, dès le début du film on comprend où je vais. Je ne pense pas que la grosse question c’est est ce que ça existe parce que, bon je serai obligé de spoiler un peu le film, il y a un passage dans le film où Boris (personnage secondaire du film interprété par Assala Kofane), dit « vous voyez c’est pour ça que moi je vous ai laissé avec vos choses-là » ça veut dire qu’il admet que ça existe, a un moment donné Diana (interprété par Carola Dinnbier) dit aussi « ça pourrait faire un super film tout ça », ce n’est pas qu’elle dit que ça n’existe pas mais que ce n’est pas important pour elle. Dans ITD je questionne en fait l’universalité de la sorcellerie, où est ce qu’on retrouve la sorcellerie de nos jours et évidemment je laisse la réponse aux spectateurs.
Into The Den c’est ton deuxième court métrage après Western, les deux films ont été produits dans le cadre du programme « 10 jours pour un film ». Dans western tu nous embarques dans la tête d’un héros qui se construit un personnage imaginaire, dans ITD tu nous emmènes dans la seconde nature des gens, dans une sorte de dualité ; on dirait que tu aimes aller au-delà des apparences des gens…
J’adore les films psychologiques, j’adore les thématiques qui requestionnent l’humanité, qui nous permettent de nous découvrir en tant qu’humain, de faire peut-être un examen de conscience. Dans western on a justement ce personnage Kamdem qui parce qu’il est troublé par la société se réfugie dans son univers à lui, il se crée un personnage qui est en fait la représentation de tout ce qu’il aimerait être. Dans ITD nous avons un personnage qui essaie d’échapper à son passé et il se rend compte que peu importe où il va, il retrouve les mêmes choses, il découvre que les gens ne se sont pas toujours ce qu’ils donnent l’impression d’être.
Aujourd’hui le gros problème dans notre cinéma c’est l’argent.
Western c’était un drame psychologique, Into The Den c’est un thriller qui empreinte aussi à la psychologie, les deux films tu les a écrits, comment est-ce qu’on quitte d’un genre à un autre en tant que scénariste-réalisateur ?
Changer de genre n’est pas le plus dur, le plus dur serait peut-être de changer d’univers et Western et ITD se passent dans le même univers. C’est vrai que le genre impacte beaucoup le type de film qu’on présente. En tant que scénariste-réalisateur, je pense que c’est le cas pour tout le monde, nous avons cet endroit où nous sommes à l’aise et nous pouvons facilement créer. Alors quitter du drame psychologique au thriller, bon je dirai qu’ITD c’est un thriller psychologique, donc quitter du drame psychologique au thriller psychologique ce n’est pas vraiment un problème. Dans ITD j’ai un peu plus assumé ma patte et mon empreinte en tant que scénariste-réalisateur.
C’était quoi le gros challenge dans Into The Den en tant que réalisateur ?
Faire avec ce qu’on a ! Ça c’était mon plus gros challenge dans ITD. Il y’a énormément de choses que j’aurai souhaité avoir que je n’ai pas eu. Les conditions de tournage ne sont pas toujours évidentes. Quand on écrit le film, on se met dans les conditions idéales, on écrit le film de nos rêves, on écrit le film qu’on aimerait tourner et évidemment en réalisant on redescend sur terre, on réécrit même et on fait avec ce qu’on a mais parfois c’est un peu frustrant de savoir que même en redescendant sur terre on n’est peut-être pas assez descendu. Aujourd’hui le gros problème dans notre cinéma c’est l’argent. L’argent achète le temps et quand on n’a pas le temps pour un projet c’est grave parce qu’il faut faire vite. Par exemple on tourne une scène de nuit il faut qu’on fasse vite avant que le jour ne vienne ; on tourne une scène de petit déjeuner il faut qu’on fasse vite avant que le temps ne change. C’est frustrant parce que ça demande énormément de travail, énormément de résistance, de sacrifices et la créativité prend un coup. En tant que réalisateur je dois réfléchir et trouver une solution à la fois créative et qui sert l’histoire et qui n’est pas faible. Et il faut trouver ça rapidement parce qu’il y a 20 personnes qui te regardent, qui disent « on fait quoi? » et ce n’est pas évident. Même si on va dire qu’on n’a pas l’objectif qu’on voulait, la caméra, les lumières, le décor qu’on voulait, au moins il faudrait qu’on puisse pouvoir tourner dans des conditions où on ne court pas après le temps.
Le film Into The Den tu devais le réaliser en Allemagne mais à cause de la pandémie du Covid19 tu n’as pas pu y aller, comment tu as vécu le confinement et comment le travail de réadaptions du film a été fait ?
Le confinement ne m’a pas vraiment dérangé, je ne suis pas quelqu’un qui sort beaucoup, donc ça m’a plutôt permis de me concentrer par exemple sur la réécriture de ITD, de faire des recherches. Si vous pensez une histoire à Douala et que vous écrivez tout un scenario en basant votre histoire à Douala il y a des choses qui sont ancrées dans cette histoire, Douala devient un personnage dans l’histoire. Ce qui fait que si vous devez changer Douala, c’est toute une réécriture et ça il fallait l’accepter. Il fallait accepter que le film ne se déroule plus à Berlin, il se déroule à Yaoundé. Owona (personnage principal interprété par Landry Beyeme) n’est plus le camerounais qui quitte son pays pour aller en Allemagne mais c’est le camerounais qui quitte son village pour venir en ville. Et évidemment je vais vous avouer le film en a prit un coup. Peut-être j’aurai dû en fait renoncer pour écrire un autre film qui aurait été construit sur Yaoundé que ça aurait été mieux parce que même en écrivant et en réalisant il y a des réponses qui ne seront pas données parce que le film a été modifié en cours de route et il n’a pas été réalisé comme il a été pensé.
Dans ITD il y a un gros travail en termes de costumes et de décors. Ça s’est passé comment la collaboration avec Laurita Ngringeh et Rosine Nkem ?
Avec Rosine ça fait plus de 6 mois qu’elle travaille sur le film parce que même quand l’Allemagne était encore envisageable, j’avais déjà commencé à travailler avec elle. On a vu des dessins, on a fait des exercices de modélisation on a beaucoup discuté sur comment elle voyait les créatures et comment moi je les voyais et elle s’est tout suite mise au travail. Plutard quand je lui annonce que le film va se faire au Cameroun, quelque part je pense qu’elle était rassurée parce que j’imagine bien quelqu’un qui crée et pense quelque chose et c’est d’autres personnes qui vont utiliser; c’est pas très rassurant parce que tu ne sais pas si ils vont vraiment faire ça comme il faut. C’était quand même énorme comme travail, Rosine ne dormait pas, elle travaillait acharnement. Laurita aussi s’est donnée vraiment et elle a fait un bon travail de costumes, elle a su agencer les couleurs et les costumes avec les personnages. Avec Rosine et Eugène Sotti (le directeur de la Photographie) nous avons travaillé une charte de couleur parce que je voulais qu’on ait une idée de ce à quoi va ressembler le film et je pense que ça a marché quand je regarde les rushes et le pré montage. Je suis assez satisfait et je pense qu’on s’est quand même pas mal battu.
Avec de la passion, la persévérance, nous pouvons changer la face du cinéma camerounais.
Dans ce film les personnages semblent être prisonniers de leur nature maléfique, c’était déjà le cas dans Western, parce que quand on regarde le film on a l’impression que dans le fond ils ne veulent pas être ces personnes méchantes mais ils sont prisonniers de cette nature maléfique, est ce que tu es quelqu’un de fataliste ?
La seconde nature peut se comprendre sur plusieurs degrés et je suis quelqu’un d’assez spirituel, donc il y a des choses que je pense connaitre, il y a des choses que j’assume et il y a un message que j’essaie d’envoyer dans mes films. Dans western on a ce gamin qui se dédouble mais il n’est pas assumé, parce que à la fin il regrette. Pourtant dans ITD tous les personnages ont une double nature. Il y a ceux comme dans Western qui refusent d’assumer et il y a ceux qui ont accepté qui ils sont et qui décident de vivre avec ça. J’aimerai laisser les gens se faire leur propre idée mais à mon niveau je dirai qu’en tant qu’êtres humains nous ne sommes pas un, nous sommes deux. Nous vivons dans le monde physique et nous vivons aussi dans le monde spirituel. Mais de nos jours le monde spirituel est tellement mis en arrière au point où ce n’est pas important, certaines personnes s’occupent de leur vie physique sans penser à leur vie spirituelle, sans penser à l’après, ça ne les intéresse pas en fait. Dans ces deux films je mets ça en avant, c’est vrai sans plaquer ça sur le visage parce que j’aimerai rester assez subtil dans mes films. Je n’impose rien aux gens j’aimerai toujours laisser aux gens l’ouverture et la possibilité de se faire leur idée en regardant le film. Je n’appellerai pas ça le fatalisme je veux juste donner des indices je veux attirer l’attention des gens vers le côté spirituel. Owona a une vie spirituelle qu’il mène mais refuse de l’assumer parce que ça l’effraie. Dans Western c’est moins visible mais il y a un plan dans Western et c’est mon grand regret aujourd’hui en tant que réalisateur, c’est que ce plan qui était vraiment important dans le film, beaucoup de personnes ne l’ont pas compris. Ça me fait beaucoup de peine mais ça me motive aussi davantage à travailler sur mes intentions de savoir comment insister sur des choses que j’aimerai que des gens remarquent, je parle de cette partie dans Western où Kamdem récupère l’arme de son père, on a l’ombre de Western qui fait exactement la même chose mais bon… Ce n’est pas le fatalisme, j’aimerai juste attirer les gens dans mon univers.
Quelle est la suite en ce qui concerne le film, quelles sont les prochaines étapes ?
Le futur très proche du film c’est la projection au Goethe Institut le 5 novembre 2020 et évidement j’aimerai bien faire quelques festivals avec le film, ça permettra aussi de montrer aux autres le film et de le rendre plus accessible au plus grand nombre de personnes. J’aimerai avec ITD dire qu’en tant que cinéaste camerounais nous pouvons le faire. Il faut oser et commencer à vraiment faire du cinéma, nous pouvons le faire. Avec ITD ce n’est pas tout à fait réussi mais c’est prometteur. Ça veut dire qu’avec de la passion, la persévérance, nous pouvons changer la face du cinéma camerounais. Je ne tire pas sur les autres films camerounais mais je pense qu’il faudrait qu’on commence à faire des films qui osent, qui proposent quelque chose de particulier ou de nouveau.
Propos recueillis par Rostand Wandja
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