Salve d’acclamations pendant que défile le générique du film L’Accord de Franck Thierry Lea Malle, projeté à la salle SITA BELLA dimanche 02 octobre dernier dans le cadre du festival Écrans Noirs 2022. C’est un public conquis qui renouvelle vivement son appréciation lorsque Thérèse Ngono, tout sourire, se lève pour se présenter à l’assemblée. Gertrude Meboua, rôle qu’incarne Thérèse dans le film est assurément l’un des personnages féminins les plus remarquables et aboutis de ce long-métrage. Nul doute que la prestation de Thérèse Ngono a grandement participé à l’affection que le public porte à ce personnage. Durant les quatre-vingt-treize minutes du film, Thérèse Ngono nous a convaincu par sa maitrise du jeu et sa capacité à susciter des émotions. Pour vous, Ayila est allé à sa rencontre pour lui poser quelques questions.
Ayila : Bonsoir Thérèse, merci de répondre à nos questions, c’est un plaisir de vous avoir.
Thérèse Ngono : Bonsoir Ayila, plaisir partagé.
Ayila : Nous venons de regarder L’Accord, un film dans lequel vous offrez une éblouissante prestation. Pendant son interview, le réalisateur Franck Thierry Lea Malle a mentionné que vous avez eu trois à quatre mois de répétions. Comment s’est déroulé cette étape des répétitions ?
T.N. : Déjà merci pour cet entretien, ça fait plaisir. Parlant du travail, les trois mois de répétition n’ont pas été faciles, c’était éprouvant mais j’ai tenu le coup. À un moment donné il y avait cette envie de tout lâcher, mais tu te dis non, tu es presque au bout du tunnel, pourquoi abandonner ? Les répétitions m’ont permis de me donner à fond, je savais à quel moment respirer, les positions et les gestes à adopter. Parce que passer trois mois à faire les mêmes gestes tous les jours, le jour du tournage ça devient plus facile. Pour moi les moments les plus difficiles étaient effectivement ces répétitions parce qu’il fallait entrer dans le personnage et chose intéressante c’est un personnage que j’ai énormément aimé.
Ayila : Comment avez-vous été sélectionné pour ce rôle ?
T.N. : Okay, pour la petite histoire quand le casting a été lancé, j’ai vu l’annonce sur les réseaux sociaux, Facebook notamment. Sauf que je regardais les âges des personnages qu’on recherchait, c’était soit en dessous soit au-dessus de mon âge. Sachant que quand on fait un casting on ne blague pas avec cette question d’âge, je me suis dit « Thérèse qu’est-ce que tu vas aller faire là-bas ? » Du coup je suis resté dans mon coin, j’ai dit « ah Ngono peut-être la prochaine fois ». Un jour comme ça je suis dans mes marches et je reçois un appel d’une femme qui se présente comme étant responsable à la maison Inception. Elle me demande d’aller faire une audition le lendemain. J’étais surprise et j’ai demandé si c’était vrai, elle me dit oui et me demande mon adresse email et c’est comme ça que je reçois un bout de texte. Le lendemain je me suis rendu à Inception et j’ai passé mon audition.
Ayila : Comment s’est passé l’audition ?
T.N. : (Rire) comme toujours, en fait on a toujours peur de mal faire, je me suis dit Okay, connaissant la personne qui est derrière la maison (Inception Arts & Com, Ndlr), comment elle apprécie le naturel, j‘avais des ongles artificiels j’ai tout enlevé et je suis parti pour l’audition.
Ayila : Beaucoup de pression pour une audition Non ?
T.N. : Oui, je savais que le réalisateur à un penchant pour le naturel, il fallait donc que je sois aussi naturel que possible. Sachant aussi qu’il aime bien le dialecte, j’ai traduit quelques extraits de mon texte en ma langue, l’éwondo. Du coup quand je partais je me disais « hum ! le tour ci noh ! » Surtout que j’avais la rage de travailler avec Lea Malle, c’était une belle opportunité pour moi, pourquoi louper ça ? Donc je me suis rendu là-bas et j’ai donné tout ce que j’avais.
Ayila : Pour vous le secret pour une bonne audition c’est d’être naturel et de se préparer ?
T.N. : Oui, être naturel, c’est vraiment important d’être naturel, c’est ça qui fait la beauté de la chose, c’est ça qui donne cette petite magie. Et plus tu es toi, plus tu fais des choses fantastiques. Quand tu veux être quelqu’un d’autre, ça pose problème, vaux mieux être soi, faire ce qu’on sait le mieux faire, que ce soit bien ou mauvais ça aura été toi. C’est également important de savoir pour quel réalisateur on va auditionner, de faire des recherches.
Ayila : Comment avez-vous reçu la nouvelle de votre sélection pour le rôle de Gertrude Meboua ?
T.N. : Ouuufff Oh mon dieu (rire) J’étais à Douala sur le plateau de Guerre des Sexes de Simon William Kum, je reçois le coup de fil d’un ami qui cri « Félicitations Thérèse ! » Je réponds : « Félicitations qu’il y’a eu quoi ? Tu ne vois pas que tu as été retenu pour le projet de Lea ? Je dis : hein ? Il me dit tu n’as pas vu ça sur les réseaux sociaux ? Je dis nooh. Ton nom est là-bas ! » Je me suis mise à crier je suis vite allé me connecter sur Facebook, j’ai vu affiché « Gertrude Meboua : Thérèse Ngono !! ». Si je n’ai pas fait sauter le toit ce jour-là … C’était fort, un truc de ouf, je me suis dit enfin ! Enfin je vais pouvoir travailler avec Lea Malle, je vais pouvoir lui montrer ce que je peux faire, je vais pouvoir montrer au monde ce dont je suis capable, c’était super!
« Je me dis toujours et je souhaite que le prochain film me permette de m’améliorer, montrer et démontrer que je peux encore évoluer. » Thérèse Ngono
Ayila : Vous l’avez justement fait, lorsqu’on regarde le film on est scotché par votre performance, vous avez reçu beaucoup d’éloges venant des cinéphiles qui adorent le personnage et des cinéastes qui saluent votre prestation, comment réagissez-vous face à tout cet amour que vous recevez ?
« C’est très encourageant de voir son travail être apprécié, c’est la première récompense. »
T.N. : Oui, j’ai reçu beaucoup de coup de fil et des félicitations. Mais quand je regarde le film je me dis : « honnêtement Thérèse Ngono tu pouvais faire mieux que ça », je le pense vraiment. C’est vrai qu’à l’instant où tu joues, tu te dis que tu donnes le meilleur de toi mais quand tu regardes le résultat tu vois tous les endroits où tu aurais pu faire autrement pour que ce soit meilleur. L’Accord m’a permit de grandir. J’ai participé à des productions où à chaque fois je me disais la prochaine fois je ferai mieux, je ferais comme ça, sur l’Accord c’était pareil. Bien que les gens apprécient et sont fiers, je me dis toujours et je souhaite que le prochain film me permette de m’améliorer, montrer et démontrer que je peux encore évoluer. Je ne peux que dire merci à toutes ces personnes qui me soutiennent, qui apprécient et aiment le film. C’est très encourageant de voir son travail être apprécié, c’est la première récompense.
Ayila : Avez-vous l’impression que ce film et ce rôle surtout, arrive comme la consécration de tous vos efforts jusqu’ici ?
T.N. : Effectivement c’est ça, c’est tout ce travail. Je suis dans ce milieu depuis 2009 et voir que c’est aujourd’hui qu’on me « découvre », je ne peux que dire merci Seigneur. Ça prouve que de 2009 à 2022 j’ai quand même évolué, oui ça le prouve. Parce que si tu restes toujours dans le noir à un moment donné il faut te poser des questions, ça veut dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas, que tu ne travailles pas à fond, que tu ne prends pas ce que tu fais au sérieux. Moi je suis de ces personnes qui sont tellement patientes, qui disent toujours ça va aller, peu importe les obstacles ça va aller. Aujourd’hui L’Accord c’est le fruit de mes années de travail et j’espère bien que c’est le premier fruit et qu’il y en aura d’autres.
Ayila : Après la projection du film dans le cadre du festival Écrans Noirs, un cinéaste a salué votre performance, notamment la facilité que vous avez eu à passer d’une mère stricte à une maman complice et ensuite sensible et fautive, comment êtes-vous arrivé à ce résultat ?
L’histoire [de L’Accord] m’a tellement touché, personnellement parce que j’y ai retrouvé quelques éléments de mon enfance.
T.N. : J’ai lu le scénario plusieurs fois et à chaque fois l’histoire m’a tellement touché, personnellement parce que j’y ai retrouvé quelques éléments de mon enfance et… (émue) En fait je disais, quand j’ai lu le scénario je me suis revue pendant mon enfance, ça n’a pas été facile mais après je me suis dit Thérèse, quand tu regardes la psychologie de cette dame est-ce que tu vas t’en sortir ? Parce que c’est un personnage très compliqué, un personnage qui vit dans un monde un peu flou, un monde difficile et qui après reçoit une opportunité couverte de drame, je me suis demandé comment j’allais gérer ça, comment j’allais m’y prendre. Pendant le tournage il m’arrivait de craquer dans les moments où il fallait vraiment vivre la souffrance parce que ça…
Ayila : Ça fait remonter des souvenirs ?
T.N. : Oui, ça fait remonter des souvenirs et c’était un peu un challenge pour moi, il fallait vraiment que je le fasse, il fallait que je revive tout ça étant déjà grande. C’est vrai que dans mon enfance je n’ai pas vécu le viol mais j’ai vécu une autre violence, une violence persistante là où on vit, la violence physique. Donc ce n’était pas du tout facile. Honnêtement la psychologie de ce personnage m’a énormément touché et c’est ça qui m’a le plus attiré. Pour moi il fallait que j’affronte ça, il le fallait vraiment.
Ayila : C’était une sorte de combat avec un passé douloureux ?
T.N. : Voilà, effectivement, c’était un peu ça, et à chaque fois que je regarde je dis Waouh, tu l’as fait !
Ayila : Votre expérience sur le film vous aura donc permis de faire face à votre passé. Pensez-vous que le cinéma puisse guérir les maux du passé, ou tout au moins tenter de les guérir?
« Faisons un cinéma qui éduque, c’est très important. »
T.N. : Bien sûr, ce que j’aime dans le cinéma, c’est cette éducation, en fait je ne suis peut-être pas la seule qui ait vécu ça, il y en a qui en voyant ce film se remémorent des souvenirs, donc je dirais que le cinéma peut guérir. C’est vrai que ça peut raviver des souffrances, pour moi par exemple à chaque fois que je le regarde ça me bouleverse, mais ça me murit et ça fortifie le mental. Je crois que nous devons faire un cinéma qui éduque, qui parle. C’est important parce qu’il y a tellement de choses qui se passent, tellement de violences. Si on ne les dénonce pas à travers les images, à travers de telles histoires, on ne saura pas ce qui se passe dans le noir. Parce qu’il y a des choses qui se passent dans nos maisons, ça peut être un enfant qui subit une pression dont il n’arrive pas à parler, une maman qui subit des violences et qui se tait, mais en regardant ce film elle sortira et se dira : il faut que je parle, la petite fille qui a peut-être subit des viols de quelqu’un de proche elle comprendra en regardant un film sur le sujet qu’elle est victime et qu’elle a le droit de le dire. C’est pour ça que le cinéma est bien, faisons un cinéma qui éduque, c’est très important.
Ayila : Merci Thérèse Ngono pour cet entretien très enrichissant.
T.N. : Merci à vous, c’est un honneur pour moi.
Propos recueillis par Stella Tchuisse
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