De 2010 à 2019, plusieurs films ont été produits au Cameroun. Dans cette multitude de films tous plus ou moins réussis, nous avons été marqués par 8 films qui, selon nous, ont marqué leur temps et ont dans une certaine mesure été des révélateurs de l’énorme talent d’une nouvelle génération de cinéastes camerounais.
Le cinéma camerounais a connu plusieurs grandes périodes depuis son démarrage en 1962 avec le film Aventure en France de Jean Paul Ngassa. Chaque période a connu ses grands noms, ses grandes figures et ses films inoubliables. Les années 70 et 80 ont certainement été les plus productives avec des films comme Pousse Pousse de Daniel Kamwa, Muna Moto de Jean Pierre Dikongue Pipa qui remporte en 1976 l’étalon de Yennenga au Fespaco, Les Coopérants de Arthur Si Bita, Anna Makossa d’Alphonse Béni et bien d’autres. Une productivité due à l’accès aux financements et la présence de nombreuses salles de cinéma dans le pays. Les années 90 et 2000 ont connu une production plutôt disparate, chaque film produit à cette époque étant une bouffée d’oxygène pour un cinéma en pleine crise (fermeture progressive des salles de cinéma, disparition des fonds de financement). Cette période a été marqué par des films tels que Sango Malo de Bassek Ba Kobhio, Quartier Mozart et Les Saignantes de Jean Pierre Bekolo, Paris à tout prix de Joséphine Ndagnou, Confidences de Cyrille Masso.
A la fin des années 2000 avec la progression du numérique, de plus en plus de films sont produits par une nouvelle génération de cinéastes avec le désir d’apporter un regard nouveau sur la société. Une nouvelle cinématographie voit ainsi le jours aussi bien en zone anglophone qu’en zone en francophone, car il faut le rappeler le cinéma au Cameroun est divisé en deux grands blocs au fonctionnement distinct : le cinéma anglophone et le cinéma francophone. Chacun de ces deux cinémas fonctionnant de façon parallèle avec chacun sa logique de financement et de distribution. Avec cette nouvelle vague, les films sont plus accessibles grâce à la vente des Dvd, il y a de plus en plus des premières de films dans des hôtels et autres centres culturels. De 2010 à 2019 de nombreux films ont ainsi été produits et diffusés au Cameroun. A la rédaction de votre magazine nous avons choisis 8 films qui, pour nous, ont marqué cette période de renaissance du cinéma camerounais et qui pour beaucoup ont influencé le nouveau cinéma camerounais qui prend forme depuis 2019.
Not My Will (2010) – réalisé par Wegmuller Ikome
Sortie en septembre 2010 au Chariot Hotel de Buea, Not My Will est une chronique urbaine de la jeunesse estudiantine de cette ville du sud-ouest camerounais réalisé par Wegmuller Efokoa. C’est un film qui tente par sa narration de se classer à la fois dans le registre du film de ganster et la comédie musicale. Un exercice complexe pas forcement réussi mais qui marquera son temps par cette audace de proposer quelque chose de différent. C’est un film majeur pour cette époque car il relèvera des actrices comme Christa Eka qu’on retrouvera quelques années plutard dans des films comme Beleh (2013), Damaru (2014), Alma (2015) qu’elle réalise également. Dans le film on retrouve aussi un artiste montant de cette époque : Achalle auteur de quelques tubes qui décèdera en 2016. Le film de part sa thématique urbaine, ouvre la porte à une nouvelle cinématographie anglophone au Cameroun qui n’est plus calquée sur le modèle nollywoodien de cette époque. Le film est le précurseur des films tel que Obession (2011) d’Achille Brice, Breach of trust (2017) de Nkanya Nkwai. Not My Will reste à ce jour le seul et unique film de Wegmulleur Ifokoa.
Ninah’s Dowry (2012) – réalisé par Victor Viyuoh
C’est le film le plus primé de l’histoire du cinéma camerounais avec pas moins de 30 récompenses dont 12 à l’international. Ninah’s Dowry, jusqu’ici œuvre unique du réalisateur Victor Viyuoh, peut être considéré comme un classique du cinéma camerounais. Le film est une plongée brutale dans le quotidien d’une jeune femme constamment battu par son mari et qui cherche les voies et moyens de se sortir de cet enfer. Un scénario classique qui ne fait pas forcement un grand bien à l’image du continent mais qui représente bien une réalité horrible que plusieurs femmes vivent encore en Afrique. C’est peut-être la raison qui explique le plébiscite de cette œuvre sur le plan international. Ninah’s Dowry est également un film qui reste ancré dans la tradition africaine du film qui se déroule au village loin du cosmopolitisme des grandes villes. Evidemment ce parti pris sert énormément l’histoire en l’aidant à avoir toute sa crédibilité. Le film a surtout permit de révéler un acteur : Anurin Nwunembom. Sa performance remarquable dans le film a contribué à le positionner comme une figure importante du cinéma camerounais.
Le Blanc d’Eyenga (2012) – réalisé par Thierry Ntamack
Tout le monde ou presque au Cameroun a entendu parlé du film Le Blanc d’Eyenga réalisé par Thierry Ntamack. C’est l’un des films les plus populaires de la cinématographie camerounaise de part son histoire bien ancrée dans le quotidien du pays de Dikongue Pipa. Épouser un blanc a constamment été vu par de nombreuses africaines comme un gage de bonheur et la promesse certaine de sortir de la pauvreté. L’arrivée de l’internet et des cybers café ont donné à de nombreuses jeunes filles les moyens pour appâter de vieux blancs qui viendraient les sortir de la misère. Mais tout les blancs sont ils forcement riches ? Du moins c’est la question à laquelle est confrontée Eyenga le personnage principal du film interprété par Jeanne Mbenti. Le Blanc d’Eyenga est une joyeuse chronique d’une société contemporaine où chacun essaie de faire ce qui est en son pouvoir pour s’en sortir. Au delà de l’histoire, le film doit sa notoriété au dynamisme de son réalisateur (lui même acteur) qui quelques années avant crée le concept »cinéma au prix du bière ». Avec ce concept il recrute de nombreuses jeunes filles qui sillonnent les bars et les commerces pour vendre les films. Le concept a continué et le réalisateur a réalisé d’autres films qui n’ont jamais atteint le niveau de popularité de ce premier long métrage.
Le Président (2013) – réalisé par Jean Pierre Bekolo
Le Président est »OVNI » cinématographique un peu comme toutes les œuvres de Jean Pierre Bekolo. Le sous titre du film qui apparait sur l’affiche du film donne déjà le ton de cette œuvre qui se veut subversive : Comment sait on qu’il est temps de partir ? Grande question philosophique mais bien réelle dans bon nombre de pays africains où les présidents sont très attachés à leur fauteuil. Le film écrit par Simon Njami mêle fiction et documentaire. Jean Pierre Bekolo nous embarque dans un Cameroun où, un beau matin, le président incarné par Gérard Essomba, a disparu. Il est parti en catimini découvrir l’arrière pays dont il est coupé depuis qu’il gouverne. Le film sera évidemment censuré dès sa sortie au Cameroun, mais cela ne fera qu’accroître l’intérêt du public pour ce film. Le Président est certainement le film le plus controversé du réalisateur mais pas le plus abouti. La seule constance ici, cette faculté pour le réalisateur de casser les codes de narration conventionnelle. Révélé par le film Quartier Mozart (1992), aujourd’hui devenu un film culte et un classique camerounais, Jean Pierre Bekolo a toujours pris plaisir à déconstruire la logique narrative du cinéma conventionnelle. Une démarche qui a produit des films mémorables tels que Les Saignantes (2005), Naked Reality (2016) ou encore Le Complot d’Aristote (1996).
W.A.K.A (2014) – réalisé par Françoise Ellong
W.A.K.A est le premier long métrage de la réalisatrice Françoise Ellong, une œuvre dramatique qui nous emmène dans le quotidien dur de Mathilde, incarné par Patricia Bakalak, une jeune mère célibataire, qui doit se prostituer pour subvenir aux besoins de son fils. Dans cet univers sombre Mathilde est confrontée à la violence de son proxénète, un homme violent et sans scrupule interprété par Bruno Henri. La réalisatrice bénino-camerounaise a toujours opté pour des sujets sensibles. Dans ce film comme dans plusieurs des films de Françoise Ellong, l’héroïne se retrouve piégée de manière physique et psychologique dans un univers où l’issue n’est pas toujours aisée à trouver. Le film, très soigné sur le plan technique, sera sélectionné dans plusieurs festivals dans le monde et ouvrira la voix à une autre approche narrative dans les films francophones du pays. Car avec W.A.K.A il question d’aller au delà de la simple présentation des faits pour comprendre les raisons qui sous tendent chaque fait et quelles en sont les conséquences. Le film sera sélectionné dans plusieurs festival à travers le monde notamment au Hollywood Film Festival.
Life Point (2017) – réalisé par Achille Brice
Meilleur film camerounais durant le festival Écrans Noirs 2017, Life Point réalisé par Achille Brice est un film qui se situe à la frontière du film d’auteur et du film grand public. Pour ce deuxième long métrage, on retrouve une thématique chère au réalisateur, l’obsession, comme ça l’était déjà dans son premier long métrage Obsession (2011). Mais Life Point c’est avant tout l’histoire d’amour impossible entre un vieux professeur d’université incarné par Gérard Essomba et une jeune danseuse incarnée par Tatiana Ngong. S’il est régulier de rencontrer dans la vie réelle ce genre d’histoire d’amour entre personne avec un écart d’age aussi important, il n’est pas toujours évident de porter un tel sujet à l’écran. C’est pourtant ce que Achille Brice fait en tentant d’y apporter une touche poétique, mais aussi psychologique et même mystique. Le vieux professeur qui tombe amoureux de la danseuses n’a pas pour autant oublié sans femme décidée. Souvent dans la solitude de son lit, elle apparait et ils causent ensemble. En regardant le film, l’intention est claire, le réalisateur a décidé de proposer un film d’auteur et un film grand public en même temps, l’essai n’est pas une réussite totale car l’histoire ne va pas aussi loin qu’on l’aurait espéré. Néanmoins la prouesse de ce film au delà de ses sélections dans des festivals internationaux comme le Fespaco (2017), c’est d’avoir ouvert la voix à une nouvelle approche narrative plus cinématographique dans les films anglophones camerounais. Quelque années plutard des films comme Saving Mbango (2019) réalisé par Nkanya Nkwai ou encore Fisherman’s Diary (2020) de Enah Johnscott viendront confirmé ce travail de fond.
Minga et La Cuillère Cassée (2017) – réalisé par Claye Edou
Minga et la Cuillère Cassée est sortie en novembre 2017 lors d’une première mémorable à Canal Olympia Bessengue à Douala. Réalisé par Claye Edou, le film dont la fabrication a duré 3 ans, est considéré comme le premier film d’animation camerounais. Ce film est une référence au Cameroun dans le genre déjà parce qu’il est le seul, mais surtout parce qu’il puise dans les cultures locales camerounaises pour donner de l’originalité à son récit. Adaptation libre du conte La Cuillère cassée, paru dans le recueil Les Contes du Cameroun de Charles Binam Bikoï et Emmanuel Soundjock en 1977, le film est diffusé pendant 13 semaines dans le réseau africain des cinémas Canal Olympia. Un record pour un film camerounais, qui traduit l’adhésion que ce film rencontre auprès du jeune public mais aussi des adultes. Le film qui utilise une technique d’animation très simple nous embarque dans les aventures de Minga chassée de la maison par sa marâtre pour avoir cassé une cuillère. Une aventure pleine de leçons de vie, de situations drôles et émouvantes. Le film garde toujours son attrait plusieurs années après sa sortie, chaque nouvelle projection faisant toujours salle comble. Les musiques du film dont l’une est interprétée par le chanteur Dynastie le tigre, sont utilisés comme sonnerie d’attente par certains opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun et les gadgets du film rencontrent rencontre assez de succès au près du public. Le film a été sélectionné dans plusieurs festivals et a remporté en 2019 le prix du meilleur long métrage international au festival Kingstoon en Jamaïque.
Innocent(e) (2019) – réalisé par Thierry Lea Malle
C’est le film qui a clôturé l’année cinématographique 2019 au Cameroun avec ses sorties à Yaoundé et à Douala. Innocent(e) de Frank Thierry Lea Malle nous plonge dans une enquête de double tentative d’homicide qui doit être élucidée par l’agent Mbuntcha interprété par Virginie Ehana. Un film qui questionne le rapport entre la loi, la justice et la vérité. Le film se démarque surtout parce qu’il explore des genres pas très courants au Cameroun : le film d’enquête et le film judiciaire. Et le spectateur est tenu en halène durant les 1 h 40 minutes que durent le film par une narration bien tenue et de multiple renversements de situations. Le film coproduit par Canal+ a permis de découvrir des acteurs comme Virginie Ehana, Fidèle Bayidedeg, Ferdinand Tiognou et de redécouvrir des acteurs comme Tatiana Matip, Axel Abessolo et Daniel Leuthe. La pandémie du Covid19 a malheureusement empêché une sortie internationale du film, mais il a bénéficié d’une diffusion en primetime sur Canal+ le 20 mai 2020 jour de la fête nationale du Cameroun. Une belle prouesse pour une film tourné par une équipe entièrement jeune.
Rostand Wandja
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