»2 Avril » fait partie de ces films qui ont suscité un très grand intérêt du public lors de la 24eme édition du festival Écrans Noirs qui vient de s’achever. Sortie officiellement en 2019, le film traite d’un sujet sensible et tabou dans la société africaine et camerounaise, l’autisme. Un film plein d’émotions qui milite pour une amélioration de l’environnement social pour les personnes atteintes de ce handicap.
La réalisatrice du film, Noëlle Kenmoe et la comédienne principale Emy Dany Bassong, nous ont accordé un interview pour parler des contours de ce film.
Ayila : « 2 Avril » est un film assez émouvant et qui a particulièrement touché le public lors de ses projections durant le festival Écrans Noirs 2020. Plusieurs personnes dans le public ont pleuré et donné des témoignages assez émouvants. Comment est venue l’idée du film « 2 Avril » ?
Noelle Kenmoe : En 2016, pendant que je préparais la sortie de deuxième long-métrage Effet Boomerang, à deux jours de la première à Douala, j’ai rencontré la maman du petit enfant autiste qui est dans le film (Mirya Bika’a qui joue le rôle de l’activiste dans le film, ndlr). Je lui ai demandé d’acheter un ticket pour venir voir le film, elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas venir voir le film parce qu’elle a un enfant autiste. Je n’avais jamais entendu parler de l’autisme jusqu’à ce jour. A l’immédiat je me suis dit que c’était juste un prétexte pour ne pas venir et j’ai insisté en lui offrant le ticket mais elle a refusé. Après la première de Effet Boomerang, j’ai continué à m’interroger sur les raisons qui ont fait que cette femme qui me connait pourtant refuse de venir à la projection de mon film. Et puis j’ai rechercher dans Google le terme « otite » qui est un problème d’audition et je me suis dis que ça ne peut pas être la raison car ce n’est pas très grave. A côté Google me propose « autisme », quand je clique, je me rend compte que l’autisme c’est un maladie grave. Quand j’étais petite on appelait les enfants atteints de cette maladie « les enfants du mont coupé ». Après je suis allé rencontrer la dame pour discuter avec elle. J’ai rencontré son enfant et j’ai remarqué la différence avec les enfants que j’ai l’habitude de rencontrer. Elle m’a ensuite parlé du regard de la société, de ces nombreuses personnes qui la jugent ou l’accusent d’avoir fait des pratiques de sorcellerie sur son fils. Ce qui m’a le plus touché c’est quand elle m’a dit que son fils n’est pas scolarisé car les écoles spécialisées pour autiste coûtent excessivement chères. Immédiatement je lui ai dit que j’allais faire un film pour aider à sensibiliser le public sur la question de l’autisme, un film qui pourra également contribuer à changer le regard de la société et qui va interpeller le gouvernement pour qu’il ouvre des écoles accessibles à toutes les bourses et c’est comme ça que j’ai fais le film.
Le film « 2 avril » est sortie en 2019, comment s’est déroulée la première ?
Emy Dany Bassong : La première c’est très bien passée, beaucoup de personnes sont venues par curiosité parce que quasiment la moitié du public n’avait pas encore entendu parler de l’autisme. A travers la communication qui a été faite autour du film il y a beaucoup de gens qui ont décidé de venir voir le film même s’ils ne savaient pas exactement de quoi parlait le film. Avec l’absence prolongée des salles de cinéma au Cameroun nous avions peur que la salle ne soit pas pleine. Mais à notre grande surprise la salle était bondée de monde. Et puis les gens ont énormément apprécié le film. Beaucoup ont demandé d’autres projections malheureusement pour nous le Covid est survenu et on a pas pu continuer les projections normalement. Le film a été très bien accueilli par le public parisien également car nous avons fait une première du film à Paris avant que le confinement ne surgisse. Les retours sont incroyables parce qu’on parle des enfants qui sont parfois abandonnés à eux même. Tout le monde n’a pas toujours cette compréhension sur le fait que l’autisme est un handicap et qu’on peut encadrer ces enfants.
Bande Annonce :
Les parents d’enfants autistes sont de véritables héros.
Le film s’intitule »2 Avril », le 2 avril c’est la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. Aujourd’hui cette maladie est encore un tabou dans nos pays africains car pour beaucoup de personnes pensent que c’est la sorcellerie. Qu’est ce qui à changé dans votre façon d’être ou votre façon de voir les choses après avoir fait ce film?
N.K. : Je me suis sentie très chanceuse d’avoir des enfants ordinaires, parce que pour écrire le film il fallait que je fréquente des familles qui ont des enfants autistes. Dans la vie on a tendance à beaucoup se plaindre pour rien alors qu’il y a des gens qui ont de vrais problèmes. Donc ce film a vraiment changé mon regard sur la vie. Je me considère bénie avec ce que j’ai.
E.D.B. : Mon fils a eu beaucoup de retard et je me dis que si j’avais lu le scénario de « 2 avril » avant qu’il ne naissent j’aurai su exactement comment gérer la situation. Quand j’ai lu le scénario je me suis rendu compte qu’il y a des petites étapes de cette maladie que mon fils a traversé mais par la grâce à Dieu tout a pu s’arranger. Après avoir passé deux semaines avec un enfant autiste (période de tournage, ndlr) et que toi tu as un enfant ordinaire, tu dis juste merci à Dieu et tu évites de te plaindre. Les parents d’enfants autistes sont de véritables héros.
Comment s’est fait le casting et la préparation du film ?
N.K. : Au départ j’avais choisi une autre actrice pour jouer le rôle de Néné (personnage principale dont l’enfant est autiste) mais au fond de moi je sentais qu’il y avait quelque chose qui ne marchait pas. Mais je me disais quand on va la diriger ça va aller. Emy avait le rôle de Charlotte la copine de Néné, et puis un soir on a réfléchit on s’est dit qu’il fallait changer le casting. En plus Emy correspondait mieux au rôle déjà par sa corpulence parce que je voulais vraiment que Néné soit incarné par quelqu’un de physiquement mature. Et puis j’ai parlé avec l’autre actrice, je lui ai expliqué et on a changé les rôles. Pour les autres acteurs au fur et à mesure de l’écriture du scénario, je choisissais des comédiens qui correspondaient à l’image que j’avais en tête.
E.D.B : Pendant la préparation du film, je me demandais comment j’allais réussir à incarner ce personnage. C’est vrai que je lisais et je ressentait la douleur des parents mais il fallait que j’entre un peu plus dans le personnage en allant vivre avec ses enfants là. J’ai également eu le soutien de Mirya Bika’a qui a une fille autiste. Mirya est une femme forte. Elle a vite découvert le handicap de son enfant et l’a vite accepté. Donc j’ai passé des journée entière avec des enfants autistes pour voir leur comportement Et puis regarder le comportement de leur maman envers eux m’a donné encore plus de tactiques pour pouvoir bien entrer dans le personnage et ressortir le vécu de ces mamans.
N.K. : Pour ce qui est de la préparation du film, c’était très difficile. Il fallait trouver les bon décors, on a dû modifier plusieurs choses. C’était hyper difficile déjà parce que personne ne voulait que je tourne avec un enfant autiste, tout le monde me disait il va nous prendre du temps on va tourner pendant des mois, alors que si tu prends un enfant ordinaire ça ira vite. Je disais au gens, non, moi je veux présenter l’autisme je veux un enfant vraiment autiste pour montrer au monde comment ces enfants se comportent.
Les femmes essaient de sortir du lot et c’est vraiment à apprécier.
Le film est construit comme une sorte d’émission dans laquelle on finit par se plonger dans la fiction. Pourquoi avoir choisit ce type de structure ?
N.K. : En fait j’ai imaginé l’histoire comme ça. J’ai imaginé les personnages principaux qui sont invités dans une émission peut-être parce que je savais déjà que je vais faire la 2eme partie du film parce que c’est dans le 2 qu’on va comprendre pourquoi j’ai commencé dans l’émission. Je pense que c’est peut-être aussi parce que j’aime les plateaux de débat télé (rire).
En utilisant un enfant réellement autiste pour jouer dans ton film tu as fait le choix du réel. Pourquoi avoir choisit de faire une fiction au lieu d’un documentaire pour rester dans cette logique du réel ?
N.K. : Le documentaire ce n’est vraiment pas mon affaire. (Rire).
E.D.B. : Je pense que Noëlle est beaucoup plus porté sur la fiction que sur le documentaire donc ça peut expliquer pourquoi elle a opté pour ça. Et tout les sujets qui la passionnent elle les transmet plus facilement dans les projets de fiction.
Quel regard vous portez sur la place de la femme dans la société et dans le milieu cinématographique ?
E.D.B : Dans le milieu cinématographique je suis très admirative des femmes, parce que de manière générale on voit beaucoup plus les hommes entrer dans la réalisation, la production, etc. Pourtant il y a des femmes qui ont du potentiel. Il faut seulement qu’on leur donne l’opportunité de s’exprimer. Je pense que Noëlle a vraiment mis la barre haut parce qu’elle a fait le film comme elle le pensait. Le film est simple et beau sans extravagance. Le film t’emmène à comprendre ce qu’on est entrain de te montrer. Moi je pense que les femmes essaient de sortir du lot et c’est vraiment à apprécier.
Le mari de Néné est un homme assez particulier, il est très humain, très patient, très positif, il a beaucoup de respect et a un certain moment ça devient même bizarre. Et c’est un peu étrange parce que c’est écrit par une femme. Pourquoi avoir choisit d’écrire ce personnage de cette façon?
N.K. : Beaucoup de gens disent que je suis féministe mais je ne suis pas du genre à vouloir toujours peindre l’homme en noir. A travers le film je voulais montrer comment les maris ou les conjoints de femmes qui ont des enfants autistes se comportent. Ils sont tous dans le déni. C’est la maman qui est toujours la première à voir que quelque chose ne va pas. Dans tous les couples où il y a un enfant autiste, l’homme est toujours celui qui dit qu’il n’y a rien, que l’enfant va à son rythme. C’est ce que je voulais montrer.
E.D.B. : J’ai trouvé le personnage de Kagamé (le mari de Néné) un peu trop passif et c’était bien. Ce n’est pas un homme violent, ce n’est pas un homme imposant qui prendrait sa femme pour une folle sur une longue durée parce qu’à un moment il s’imagine que c’est sa femme qui est folle mais heureusement il comprend rapidement les souffrances de sa femme et il la soutient. C’est un personnage que j’ai beaucoup aimé car dans l’ensemble il faisait un peu oublier les problèmes de l’enfant. Ce n’est pas le genre de père qui dès qu’il apprend que son enfant n’aura pas une vie normale porte ses bagages et part. Parce que généralement c’est ce que les mamans d’enfants autistes vivent. Beaucoup de mamans d’enfants autistes sont célibataires parce que les papas n’acceptent pas, ils disent que c’est la sorcellerie et se désengagent de leur rôle de père. Mais dans le film Kagamé montre une autre image aux hommes qui ont des enfants différents. Il ne faut pas abandonner sa femme parce que votre enfant n’est pas normal. L’enfant est vous appartient à deux, en plus c’est l’homme qui donne l’enfant; donc si il y a un problème c’est l’homme le problème donc pourquoi partir.
N.K. : Quand j’ai envoyé le scénario à plusieurs personnes, il y a des gens qui m’ont demandé pourquoi le mari ne part pas, un peu comme dans la vrai vie. Parce que c’est rare de voir un couple qui reste ensemble après le diagnostic de l’enfant. J’ai voulu dire aux hommes de ne plus fuir. L’enfant appartient aux deux, Ils doivent se battre ensemble pour l’avenir de cet enfant.
»2 Avril » c’est le plus beau film où j’ai joué.
Comment était le travail et la relation avec les comédiens ?
N.K. : J’ai eu la chance d’avoir des comédiens qui m’écoutaient et qui étaient patients parce qu’il y avait des jours vraiment très difficiles où je n’avais pas le morale et j’étais très irritable. Mais ils étaient présents. Tous étaient d’une ponctualité exemplaire. Les comédiens coopéraient véritablement .
E.D.B. : Ma relation avec les autres comédiens était bonne. Parce qu’on se mettait tous en confiance, parce qu’on ne cherchait pas à savoir qui a fait quoi plus que l’autre. on avait un film à faire et il fallait que tous les esprits soient tournés cet objectif là. On travaillait d’un même cœur parce qu’on savait qu’on le faisait pour la bonne cause.
Dans le film il y a vraiment de bons moments d’émotions, des moments où on oublie le comédien et on voit le personnage se manifester. Comment s’est fait le travail de mise en scène?
N.K. : En réalité il n’y a pas eu un gros travail de mise en scène surtout avec Emy. Emy a lu le texte et a su construire son personnage. J’étais la première a être bluffée par sa prestation. Il y a eu sur le plateau des moments où on a tous pleurer. Dans la séquence où elle apprend que son fils est autiste, après sa réaction tout le monde pleurait sur plateau. Je n’ai pas vraiment eu a diriger Emy elle même l’a fait.
Emy, comment s’est passée la construction de votre personnage parce qu’il y a des moments où vous nous entrainez dans quelques choses de totalement vrai et comment vous faites pour ressortir de ce rôle?
E.D.B. : C’était difficile d’entrer dans le personnage de Néné parce que je n’avais pas encore eu un rôle où je devais être triste tout le temps. J’ai toujours eu des rôles assez dynamiques. beaucoup de personnes me connaissent comme incarnant toujours le rôle de femme agressive, mais quand les gens ont vu ce film ils se demandait comment j’ai fait et sincèrement je ne sais pas comment j’ai fait. Je me suis sentie concernée, je ne me suis pas dit que je tournais un film mais plutôt que j’étais entrain d’entrer dans la peau une maman d’enfant. Et donc avec des techniques de jeu d’acteur j’ai pu créer le,personnage. Et j’ai été étonnée du résultat. Lors de la première, en regardant le film moi même je pleurais et j’étais vraiment surprise et je me suis dit que je peux encore faire mieux. Quand je regarde un film dans le quel j’ai joué, je regarde surtout ce que je n’aurai pas dû faire, c’est comme ça que je travaille pour m’améliorer. A vrai dire je ne suis pas encore sortie de cette émotion de maman d’enfant autiste. J’ai vraiment pris ce personnage à cœur, « 2 Avril » c’est le plus beau film où j’ai joué.
Quels sont vos futurs projets ?
N.K. : Pour les projets futurs en fin 2021 on doit faire la deuxième partie de « 2 avril », The revolution, c’est un suite mais qui sera indépendante de la première partie. Et puis j’ai un film que je prépare sur le génocide rwandais. J’irai d’ailleurs au Rwanda et en Ouganda dans quelques jours pour ça. Je vais raconter l’histoire de la plus grande génocidaire du Rwanda.
E.D.B. : Pour ce mois de nombre je compte relancer le tournage de ma web série Les Tchakaï, en janvier je vais joué dans la saison 2 de la série Madame, Monsieur. En fin 2021 il y aura le tournage de la la deuxième partie de « 2 Avril » mais entre temps, je suis disponible, les producteurs peuvent me contacter.
Propos recueillis par Rostand Wandja
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