A l’occasion de la 26 édition du festival du festival Écrans Noirs, le film tunisien L’homme devenu musée remporte l’Écran du meilleur long-métrage documentaire international. Le réalisateur Marwen Trabelsi a accepté de répondre à nos questions après avoir décroché cette prestigieuse récompense.
La fatalité a touché l’âme d’Aly Issa et il s’est replié sur lui-même. Il a ainsi donné son amour et son temps aux objets et aux animaux, en travaillant sans relâche sur ce qui ne le décevra pas. Il a préféré exprimer sa douleur et le questionnement de la vie sur des objets d’art. Cet homme de 80 ans qui après la perte de sa femme et de son fils se tourne vers la création artistique dans le sens large du terme (peintre sculpteur, plasticien), avec pour conviction de changer le monde grâce à son art est total, il est le protagoniste atypique de Marwen Trabelsi, le réalisateur de L’homme devenu musée.
La cinéaste et critique camerounaise Elise Kameni a receuilli pour vous les propos du réalisateur.
AYILA : Comment vous est venue l’idée de ce film ? Ou alors pourquoi ce film ?
Marwen Trabelsi : Je suis un réalisateur qui travaille sur les personnes de la marge et qui sont exclus de la société soit volontairement ou involontairement, les personnes qui sortent du lot et qui sont différents socialement, politiquement ou artistiquement. Je suis un artiste plasticien qui a fait l’école des beaux-arts et je suis très sensible au champ des arts plastiques.
AYILA : Comment êtes vous entré en contact avec ce protagoniste ?
M.T. : J’ai rencontré Aly Issa en 2010 dans un festival de cinéma et on a échangé ensemble. J’ai trouvé qu’on avait beaucoup d’affinités dans les idées et qu’on avait la même vision sur l’art qui peut changer le monde. Il m’a invité à venir découvrir sa maison musée, j’y suis allé et en découvrant ce monde fantastique, j’ai su que je devais faire un film sur cet homme-là et sur son musée pour conserver une partie de la mémoire nationale plastique.
AYILA : Quand a démarré le projet et combien de temps a duré le tournage?
M.T. : J’ai fait le repérage en 2015 et j’ai commencé à filmer en 2016.Le tournage a duré 5 ans de manière discontinue.
AYILA : Avec un protagoniste tel que Aly, était-ce difficile de tourner ?
M.T. : Non, Le protagoniste aimait beaucoup parler de ses gloires passées et moi j’avais une trame narrative que je construisais au fur et à mesure.
AYILA : Est-ce que la vie de votre protagoniste vous a influencé ?
M.T. : Oui la vie artistique du protagoniste m’a influencé et j’ai repris la peinture en 2020 et j’ai réalisé ma première exposition personnelle en peinture en 2021. De plus, je partage certains points de sa vision sur le mouvement intérieur de l’âme et sur le changement constant.
« J’accorde beaucoup d’attention à la composition de l’image et à son esthétique. »
AYILA : Vous avez mis en lumière votre propre regard esthétique sur le parcours de l’artiste Aly Issa et son travail artistique malgré l’anarchie dans lequel il vivait, quel est votre secret ?
M.T. : Je suis un photographe plasticien et j’accorde beaucoup d’attention à la composition de l’image et à son esthétique, le musée était le lieu propice pour moi pour m’épanouir, j’ai pris mon temps et j’ai essayé de laisser les images se révéler à moi pour créer l’esthétique du chaos.
AYILA : Avez-vous fait le rapport avec un profond mal être donc il pouvait avoir suite à la perte de sa femme et de son fils ou alors vous avez préféré utiliser sa douleur plutôt comme un effet sur son visage et le fondre dans ses objets d’art ?
M.T. : La structure narrative du film est basée sur son passé affectif, familial et social qui donne le résultat de son art, de ce qu’il est devenu dans le présent. L’évolution narrative du film est dramatique et cela se traduit techniquement par une certaine esthétique et par une musique d’accompagnement dramatique qui accentue la situation.
AYILA : Vous êtes en même temps le cadreur de ce film, comment avez-vous réussi à donner un aspect graphique presque irréel à son visage et aux objets ?
M.T. : Je suis le cadreur et le monteur du film et je me suis attarder sur la notion esthétique des images et sur la composition de mon cadre
AYILA : La démarche artistique et l’éclairage sont-ils anodins ?
M.T. : La démarche artistique est plastique puisque je viens du monde des arts plastiques et la structure narrative est répartie sur trois actes : Amour, Famille, Art
Et cette scène de fin ou il fait son testament, était-elle prévue ? Comment vous sentiez vous après avoir été témoin de sa dernière volonté ?
Je crois que le moment du testament est très intense sur le plan émotionnel, je n’ai pas pu l’accompagner dans ces derniers moments, mais il a assisté à la première nationale du film au JCC [Journée Cinématographiques de Carthage, Ndlr] devant 700 spectateurs.
Quel est votre sentiment en recevant l’écran de documentaire au festival Écrans noirs ?
Je crois que c’est une grande consécration et c’est une vrai reconnaissance pour ce film très particulier, c’est le 6eme prix du film dans 12 festivals internationaux.
Interview réalisé par Elise KAMENI, Critique de cinéma
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